Subject: que peut on savoir de soi?

Date: Sat, 17 Oct 1998 10:59:03 +0800

From: X

Organization: HEC + Sciences po

To: mper@infonie.fr

 

Bonjour, je suis eleve en classe de terminale S, et je suis confronte à mon premier sujet qui par definition est quelque peu rebutant:" que peut on savoir de soi?"

Je m'oriente vers un plan dialectique -on peut se connaitre par l'introspection(cf Rousseau), Descartes affirme que nous sommes subsatnce pensante indissociable du corps, fragment de la substance etendue. Enfin Bergson definit le soi comme un etre impregne de passe et d'avenir(def de la conscience)

-Kant lui, affirme que nous n'avons de nous meme que la representation du noumene(soit un phenomene) mais que l'intelligibilite de celui-ci ne s'accorde pas avec nos sens. Hume definit la conscience comme une multitude de petites perceptions... Enfin, je parlerais de l'inconscient

-Enfin en troisieme partie, je voudrais faire une synthese nuancee de ma demarche: l'homme etre en perpetuel devenir(Sartre) n'est pas de ce fait un objet de connaissance car toute connaissance requiert un objet stable. et apres je ne sais plus quoi faire...

Je vous demanderais si cela ne vous embete point de me donner votre avis sur ce sujet car je sens que je ne traite qu'une partie du sujet.

Merci

Ma réponse :

Il me manque ton prénom pour m'adresser vraiment à toi, personnellement. Puis-je me permettre un conseil : n'oublie plus à l'avenir de le donner à ceux avec qui tu souhaites converser !

Je réponds bien volontiers à ta sollicitation, car tu as fait l'effort manifeste de chercher à savoir comment traiter le sujet avant de demander conseil sur la meilleure façon de l'aborder.

L'approche que tu envisages d'adopter est raisonnée, c'est là sa première qualité. Tu fais le choix d'un examen dialectique de la question qui t'est posée. Je me demande toutefois si cette question est de nature à bien se prêter à une telle approche. Il ne s'agit pas tant, en effet, de savoir si l'on peut savoir quelque chose de soi que de savoir ce que l'on en peut savoir ! S'il s'agissait de dire si l'on peut savoir quelque chose de soi, tu pourrais effectivement envisager de dire que l'on peut recourir à l'introspection avant d'observer qu'elle n'offre que l'apparence de ce qui n'est peut-être qu'une partie ou un aspect de soi-même, avant de rechercher les dispositions qui seraient à prendre pour mieux se connaître.

Tu dois dire ce que l'on peut savoir de soi, ce qui, reconnais-le, n'est pas tout à fait la même chose.

Commençons donc par bien préciser l'objet de la question posée.

Il s'agit moins sans doute d'identifier l'objet visé par la connaissance de soi que les limites auxquelles risque de se heurter celle-ci. Reste, admettons-le, que l'identification des unes ne pas sans l'identification de l'autre : comment savoir en effet jusqu'à quel point je puis me connaître sans savoir ce qui, de moi, peut m'être connu !

La question posée présuppose en quelque façon qu'il y ait difficulté à se connaître. Une longue tradition nous pousse à le penser. Socrate n'aurait pas eu à se donner tant de mal pour stimuler la lucidité de ses interlocuteurs s'ils avaient tout connu d'eux-mêmes sans difficulté, tu en conviendras. Plus près de nous, la psychanalyse qu'elle soit psychologique (freudienne ou autre, avec la levée de l'inconscient) ou même existentielle (chez Sartre, avec la levée de la mauvaise foi), nous conduit à penser que nous sommes grandement obscurs à nous-mêmes.

Se demander ce que l'on peut savoir de soi est, tu le reconnaîtras avec moi à présent, d'un enjeu considérable. Il y va de notre relation à nous-même et de son succès. N'y va-t-il pas dès lors de notre propre liberté, pour peu que la liberté soi la capacité que nous ayons à disposer de nous-même : comment disposer de soi-même si on ne se connaît pas bien ? Peut-on d'ailleurs parler de soi-MEME, si on ne parvient pas à coïncider par la pensée avec ce que l'on est.

Vertigineux, ne trouves-tu pas ?

Mais, me diras-tu, comment le savoir? Comment savoir ce que l'on peut savoir de soi?

1) Ne faut-il pas d'abord définir le chemin d'accès à soi-même : qu'est-ce qui me permet de me connaître moi-même?
Une réflexion sur la conscience semble ici devoir s'imposer. Et tu peux effectivement recourir à Descartes (plutôt qu'à Rousseau) pour mener cette réflexion à bien.
Elle ne saurait toutefois suffire. Ne tenons-nous pas l'essentiel de ce que nous savons sur nous-même des autres?
Réfère-toi à l'analyse que consacre Sartre dans l'Etre et le Néant au sentiment de la honte. Cf. mon cours sur autrui

2) Ayant identifié les moyens de te connaître reste à délimiter leur portée.
Que peut t'apprendre la conscience? Ce uniquement à quoi elle a accès. Ce qu'elle ignore, tu l'ignoreras aussi et cela pourra te tromper sur toi-même. Cf. mes cours sur la conscience et l'inconscient.
Peux-tu être au clair sur tes motivations profondes? N'est-il pas souvent vital pour toi de jouer à cache-cache avec elles?
Que penser du regard des autres sur nous? Est-il objectif? Peuvent-ils connaître nos intentions profondes? Est-il jamais possible de juger quelqu'un? Ne dit-on pas, avec humour, du psychologue qu'il est le plus mal placé pour comprendre quelque chose à sa propre femme ?

3) Que saurions-nous de nous-mêmes si nous nous contentions de le tenir de notre conscience et des autres?
Des apparences, vouées à être trompeuses.
Dès lors se pose la question de la mise en place d'un éventuel dispositif qui permette de mieux se connaître.
La réflexion, retour critique sur soi, en est un. Socrate en fut le maître, avec son connais-toi toi-même, avec sa maïeutique.
L'analyse aussi, médiatisée par l'écoute d'un tiers averti, tel que le psychanalyste mais aussi le conseiller spirituel. La pratique de l'examen de conscience dans les religions auraient beaucoup à nous apprendre à ce sujet.

Tu vois qu'il y a matière à faire un devoir qui ne perde pas le sujet de vue en s'égarant dans les doctrines philosophiques...

Dans l'espoir d'avoir pu t'aider sans bousculer trop durement ton projet initial, je t'encourage à cheminer allègrement vers la sagesse.

 

Michel Pérignon