Problèmes de philosophie

par Bertrand Russell (1912)

 

 

 

Chapitre 1. APPARENCE ET RÉALITÉ

 

1) Existe-t-il au monde une connaissance dont la certitude soit telle qu'aucun homme raisonnable ne puisse la mettre en doute? Cette question qui, à première vue, pourrait paraître simple, est en réalité l'une des plus difficiles. Lorsque nous nous serons rendu compte des obstacles qui s'opposent à une réponse spontanée et optimiste, nous serons sur la bonne voie en ce qui concerne l'étude de la philosophie; en effet, la philosophie est simplement une tentative pour répondre à des questions de ce genre, non pas à la légère ou dogmatiquement, comme on le fait pourles choses de la vie ordinaire, et même pour les questions scientifiques, mais en exerçant notre sens critique, après avoir examiné tous les éléments qui rendent de telles questions troublantes et après nous être rendu compte de toute l'incertitude, de toute la confusion que dissimulent nos idées courantes.

 

2) Dans la vie quotidienne, nous présumons certaines de nombreuses données; or, à l'analyse, elles se révèlent en réalité si pleines de contradictions manifestes que seule une réflexion suivie nous permet de définir ce qu'il nous est vraiment permis de croire. Dans notre recherche d'une certitude, il est naturel d'étudier en premier lieu notre réaction du moment et, en un sens, nous pouvons sûrement en tirer quelque connaissance. Mais toute affirmation concernant la nature de ce que notre vécu empirique immédiat nous fait connaître a de fortes chances d'être erronée. Ainsi, il me paraît qu'en ce moment je suis assis sur une chaise devant une table d'une forme particulière, sur laquelle je vois des feuilles de papier couvertes d'écriture ou de caractères d'imprimerie. En tournant la tête je vois par la fenêtre des maisons, des nuages et du soleil. Je crois que le soleil est distant de la terre d'environ 149 millions de kilomètres, que c'est un globe de feu, de nombreuses fois plus gros que la terre, et que, à cause de la rotation de celle-ci, le soleil se lève chaque matin, et qu'il en sera ainsi pendant un temps indéterminé. Je crois que, si une autre personne normale entre dans la pièce où je me trouve, elle verra les mêmes chaises, les mêmes tables, les mêmes papiers et les mêmes livres que moi; et que la table que je vois est la même que celle que je perçois en yappuyant mon bras. Tout cela semble si évident qu'il est presque inutile d'en parler, sauf s'il s'agit de répondre à quelqu'un qui mettrait en doute ma connaissance. Pourtant, de cela on peut douter raisonnablement, et toutes ces assertions demandent à être minutieusement discutées si nous voulons être sûrs que nous les avons faites sous une forme absolument véridique.

 

3) Pour bien faire comprendre le problème, concentrons notre attention sur la table. Pour l'œil, elle est rectangulaire, brune et luisante, pour le toucher, sa surface est polie, froide et dure; lorsque je la frappe de la main, elle rend un son de bois. Tout autre que moi, s'il voit et palpe et entend la table, sera d'accord avec la description que j'en fais; on pourrait donc penser qu'il n'y a là aucun problème. Mais dès que nous essayons d'être plus précis, nos difficultés commencent. Même si je crois que la table est "réellement" de la même couleur en toutes ses parties, les parties qui réfléchissent la lumière paraissent beaucoup plus colorées que les autres et certaines parties paraissent blanches par un effet de réflexion de lumière différent. Je sais encore que, si je me déplace, ce seront d'autres parties qui réfléchiront la lumière de sorte que l'apparente distribution des couleurs sera modifiée. Si donc plusieurs personnes regardent la table au même moment, il n'y en aura pas deux qui verront les couleurs de la même façon, car il n'y en aura pas deux qui verront la table exactement sous le même angle et toute différence d'angle transforme la façon dont la lumière est réfléchie.

 

4) Dans la pratique, ces différences sont sans intérêt, mais pour un peintre, par exemple, elles sont d'une importance capitale; le peintre doit perdre l'habitude de penser que les choses se présentent à l'œil sous l'apparence de leur couleur "réelle", à savoir celle que le sens commun leur attribue, il doit apprendre à voir les choses exactement comme elles se manifestent à lui. Voilà précisément le commencement d'une des distinctions qui constituent l'un des plus graves problèmes philosophiques, la distinction à établir entre 1'"apparence" et la "réalité", entre ce que les choses semblent être et ce qu'elles sont vraiment. Le peintre veut reproduire l'apparence des choses, l'homme réaliste et le philosophe veulent savoir ce que sont réellement les choses, mais le désir du philosophe est plus intense que celui de l'homme réaliste et la conscience des difficultés que soulève la recherche d'une réponse adéquate au problème l'inquiète encore davantage.

 

5) Revenons à notre table: d'après ce que nous avons constaté, il est évident qu'il n'y a pas de couleur précise unique qu'on puisse lui attribuer, ni même qu'on puisse attribuer à l'une quelconque de ses parties: la table paraît être de couleurs diverses, selon les divers angles sous lesquels on la regarde et il n'y a aucune raison de considérer telle ou telle nuance comme étant celle qui appartient véritablement à la table. Et même à supposer qu'on la regarde sous un angle donné fixe, d'autres variations peuvent se produire: nous savons que la lumière artificielle change les couleurs, qu'un daltonien ou quelqu'un portant des verres bleus voit d'autres teintes et que l'obscurité supprime les couleurs, même si au toucher et à l'ouïe la table reste la même. La couleur n'est donc pas inhérente à la table, mais dépend à la fois de la table, de celui qui la voit et de la façon dont la lumière arrive sur la table. Quand, dans la vie quotidienne, nous parlons de la couleur de cette table, nous voulons seulement parler de la couleur en gros que semblera posséder ce meuble à toute personne normale qui la verra sous un angle normal et dans des conditions normales d'éclairage. Toutefois, les autres couleurs qui apparaissent dans des conditions différentes ont tout autant droit à être jugées réelles; en conséquence, pour être impartial, il nous faut convenir que, considérée dans son ensemble, la table n'a pas de couleur qui lui soit propre.

 

6) On peut dire la même chose à propos de la texture. On peut, il est vrai, discerner à l'œil nu le grain du bois, mais dans l'ensemble, la table paraît avoir une surface lisse et polie. Si nous la regardions au microscope, nous discernerions les rugosités du bois, ses creux et ses élévations et toutes sortes de détails qui ne se voient pas à l'œil nu. Lesquelles de ces choses sont la table "réelle" ? Nous sommes évidemment tentés de dire que les renseignements fournis par le microscope sont plus réels, mais un autre instrument plus puissant nous offrirait une autre vision du bois. Alors, si nous ne pouvons nous fier à ce que nous voyons à l'œil nu, pourquoi faire confiance au microscope ? Et voilà ébranlée la confiance que nous avions au départ dans le témoignage de nos sens.

 

7) Quant à la forme de la table, elle ne nous offre pas une position plus assurée. Nous avons tous l'habitude d'émettre des jugements définitifs concernant les formes "réelles" des choses qui nous entourent et nous le faisons de façon si irréfléchie que nous en venons à croire que nous voyons véritablement les formes réelles. Mais en réalité, une chose donnée présente une forme qui varie selon l'angle sous lequel on la regarde; c'est ce que nous devons tous apprendre si nous tentons de faire du dessin. Si notre table est "réellement" rectangulaire, de presque tous les points elle nous apparaîtra comme présentant deux angles aigus et deux angles obtus; si les côtés opposés sont parallèles, ils nous apparaissent comme s'ils convergeaient vers un point éloigné; s'ils sont d'égale longueur, ils apparaissent comme ayant le côté le plus proche plus long que l'autre. De tout cela, on ne s'aperçoit pas habituellement en voyant une table, parce que l'expérience nous a appris à construire la forme "réelle" de la table en partant de la forme apparente, et la forme "réelle" est ce qui nous intéresse, du point de vue des considérations pratiques. Mais la forme "réelle" n'est pas ce que nous voyons, c'est quelque chose que nous inférons de ce que nous voyons. Et ce que nous voyons change constamment de forme à mesure que nous nous déplaçons dans la pièce où se trouve la table; nos sens ne semblent par conséquent pas nous renseigner avec vérité au sujet de la table elle-même, mais seulement à propos de l'apparence de cette table.

 

8) Des difficultés analogues surgissent à propos du toucher. Il est exact que la table procure en tout temps une sensation de dureté et nous sentons qu'elle résiste à la pression; cependant, la sensation ressentie dépend de la force de notre pression et aussi de la partie du corps qui exerce cette pression. Ainsi les diverses sensations causées par des pressions d'ordre divers ou exercées par diverses parties du corps ne peuvent être considérées comme décelant directement une propriété définie inhérente à la table; ces sensations ne sont tout au plus que les signes d'une propriété qui, peut-être, cause toutes les sensations, mais qui n'est en fait manifeste dans aucune d'elles. Ce même raisonnement s'applique avec encore plus d'évidence aux sons qu'on obtient en frappant la table.

 

9) Il devient donc évident que la table réelle, s'il en existe une, n'est pas celle dont nous avons la perception immédiate par l'entremise de la vue, du toucher ou de l'ouïe. La table réelle, s'il y en a une, n'est pas du tout directement connue par nous, mais doit être inférée à partir de ce que nous connaissons immédiatement. En conséquence, deux questions se posent aussitôt, et deux questions auxquelles il est difficile de répondre: &emdash;1 ) Existe-t-il une table réelle ? &emdash; 2) Si oui, quelle sorte d'objet peut-elle être ?

 

10) Pour nous aider à élucider ces questions, il est bon de choisir quelques termes dont la signification soit claire. Appelons donc "témoignages sensoriels" ce qui est immédiatement connu dans la sensation, c'est-à-dire les couleurs, les sons, les odeurs, les duretés, les rugosités, et ainsi de suite. Donnons le nom de "sensation" à notre prise de conscience directe de ces choses-là. Par exemple, lorsque nous voyons une couleur, nous avons une sensation de cette couleur, mais la couleur même est un témoignage sensoriel et non une sensation. La couleur, c'est ce dont nous prenons conscience immédiatement et c'est cette prise de conscience qui constitue la sensation. Il est évident que nous ne pouvons connaître quoi que ce soit à propos de la table si ce n'est par le truchement des témoignages sensoriels (la couleur brune, la forme rectangulaire, la surface lisse) que nous associons à la table; mais pour les raisons déjà énoncées, nous ne pouvons pas dire que la table est constituée par ces témoignages des sens, ni même que ces témoignages sensoriels sont par eux-mêmes des propriétés inhérentes à la table. Un problème se pose ainsi qui est celui des relations existant entre les témoignages sensoriels et la table réelle, à supposer qu'une telle chose existe.

 

11) Nous appellerons la table réelle, en admettant son existence, un "objet physique" . Il nous faut donc étudier les rapports existant entre les témoignages sensoriels et les objets physiques. Ceux-ci prennent dans leur ensemble l'appellation collective de "matière". Ainsi, les deux questions qui se posent à nous peuvent être reformulées de la manière suivante:

 

La matière existe-t-elle?

 

Si oui, quelle est sa nature?

 

12) Le philosophe qui, le premier, proposa une brillante argumentation à l'effet que les objets immédiats de nos sens n'existent pas indépendamment de nous fut Berkeley (1685-1753). Ses Trois dialogues entre Hylas et Philonoüs en opposition aux Sceptiques et aux Athées s'efforcent de prouver que la matière n'existe pas et que le monde n'est constitué que par les esprits et les idées. Hylas, dans l'ouvrage de Berkeley, a jusqu'alors cru à la matière, mais il ne peut résister aux arguments de Philonoüs, qui l'accule sans merci à des contradictions et à des paradoxes, si bien qu'à la fin, lorsque Hylas reconnaît l'inexistence de la matière, son acquiescement semble presque procéder du simple bon sens. Les arguments présentés sont de valeurs diverses, certains étant importants et solides, d'autres confus ou jouant sur les mots. Berkeley garde cependant le mérite d'avoir montré que l'existence de la matière peut être niée sans absurdité et que, s'il y a des choses, quelles qu'elles soient, qui existent indépendamment de nous, elles ne peuvent être les objets immédiats de nos sensations.

 

13) Lorsque nous nous demandons si la matière existe véritablement, nous nous posons en réalité deux questions différentes qu'il est important de bien distinguer. Nous entendons ordinairement par "matière" quelque chose qui est opposé à l'"esprit", quelque chose que nous concevons comme occupant un certain espace et comme étant totalement incapable de toute pensée et de toute conscience. C'est surtout en ce sens que Berkeley nie l'existence de la matière; il ne nie pas que les témoignages sensoriels habituellement pris par nous comme signes de l'existence de la table soient vraiment des signes de l'existence de quelque chose indépendant de nous; ce qu'il nie, c'est que ce quelque chose soit d'un autre ordre de réalité que celui de l'esprit, qu'il soit ni esprit ni idées formées par quelque esprit. Il admet qu'il doit bien y avoir quelque chose qui continue d'exister quand nous sortons de la pièce où nous l'avons vu, ou quand nous fermons les yeux; ce que nous nommons "voir la table", selon Berkeley, nous fournit bien une raison valable de croire en l'existence de quelque chose qui subsiste, même quand nous ne le voyons pas; mais il croit que ce quelque chose ne peut être radicalement différent par sa nature de ce que nous voyons et qu'il ne peut guère être totalement indépendant de la vision, bien qu'il doive être indépendant de notre vision. Ainsi, Berkeley est conduit à considérer la table "réelle" comme une idée existant dans l'esprit de Dieu. Une telle idée possède comme il se doit la permanence et l'indépendance à notre égard sans être pour autant &emdash; comme le serait la matière autrement &emdash; tout à fait inconnaissable, dans le sens que nous soyons réduits à l'inférer sans pouvoir en faire l'expérience directe et immédiate.

 

14) Depuis Berkeley, d'autres philosophes ont également enseigné que, même si l'existence de la table ne dépend pas du fait que je la vois, elle dépend bel et bien du fait d'être vue (ou perçue par l'entremise d'autres sens) par quelque esprit &emdash; pas nécessairement l'esprit de Dieu, mais aussi, comme on l'a soutenu plus souvent, la totalité de l'esprit collectif de l'univers. Ces philosophes avancent cette thèse, comme le fait Berkeley, principalement parce qu'ils pensent qu'il ne peut exister rien de réel (ou en tout cas rien qu'on sache être réel), si ce n'est les esprits, leurs pensées et leurs sentiments. Nous pourrions résumer l'argumentation qu'ils présentent à peu près comme suit: "Tout ce qui peut être conçu est une idée dans l'esprit de la personne qui le conçoit; en conséquence, rien ne peut être conçu si ce n'est des idées dans chaque esprit; donc toute autre chose est inconcevable et ce qui est inconcevable ne peut exister."

 

15) A mon avis, une telle argumentation est fallacieuse, mais, bien entendu, ceux qui la soutiennent ne la présentent pas aussi brièvement, ni aussi brutalement. Quoi qu'il en soit, valable ou non, c'est une argumentation qui a été fréquemment exposée sous une forme ou sous une autre, et de très nombreux philosophes, peut-être la majorité, ont enseigné qu'il n'existe rien de réel si ce n'est des esprits et leurs idées. Ces philosophes sont appelés "idéalistes". Lorsqu'ils en viennent à vouloir expliquer la présence de la matière, ils déclarent, comme Berkeley, que la matière n'est rien d'autre qu'une collection d'idées, ou alors ils affirment, comme Leibniz ( 1646-1716), que la matière, ou ce qui apparaît comme telle, est en réalité constituée d'esprits plus ou moins rudimentaires.

 

16) Mais ces philosophes, tout en niant l'existence de la matière en tant qu'opposée à l'esprit, n'admettent pas moins dans un autre sens la réalité de la matière. Rappelons que nous nous sommes posé deux questions: 1 ) Existe-t-il une table réelle ? 2) Si oui, quelle sorte d'objet peut-elle être ? Or, Berkeley, comme Leibniz, admet qu'il y a une table réelle, mais Berkeley l'assimile à un certain nombre d'idées dans l'esprit de Dieu et Leibniz à un regroupement d'âmes individuelles. Ainsi tous deux répondent affirmativement à notre première question et ne sont en désaccord avec les vues du commun des mortels que par la façon dont ils répondent à notre deuxième question. En fait, presque tous les philosophes semblent d'accord pour convenir qu'existe une table réelle: ils admettent presque tous que, quelle que soit la mesure dans laquelle nos témoignages sensoriels (couleur, forme, poli des surfaces) peuvent dépendre de nous, ils indiquent cependant que quelque chose existe indépendamment de nous, quelque chose qui diffère peut-être complètement du témoignage de nos sens, mais qui doit être tout de même regardé comme la cause de ces témoignages et qui se produit chaque fois que nous nous trouvons dans les conditions requises, en présence de la table.

 

17) Évidemment, le point sur lequel les philosophes sont d'accord (à savoir qu'il y a une table réelle quelle que puisse être sa nature) est d'une importance vitale, et il sera profitable d'examiner quelles raisons il peut y avoir de nous rallier à cette opinion avant de passer à la seconde question celle de la nature de la table réelle. Notre prochain chapitre sera consacré aux raisons sur lesquelles on peut se fonder pour supposer qu'existe une table réelle.

 

18) Avant de continuer notre étude, il sera bon de récapituler les points acquis jusqu'à présent. Voici donc nos conclusions actuelles: prenons un objet ordinaire quelconque que nous présumons pouvoir connaître par l'intermédiaire de nos sens; ce que nos sens nous apprennent immédiatement n'est pas vrai de l'objet, puisqu'il est séparé de nous ["apart from us"] mais vrai seulement de certains témoignages sensoriels qui, autant qu'on puisse en juger, dépendent de la relation établie entre nous et l'objet. En conséquence, ce que vous voyons et sentons directement n'est qu'"apparence", apparence que nous tenons pour le signe d'une "réalité" latente. Toutefois, si la réalité n'est pas conforme à l'apparence, possédons-nous un moyen de savoir qu'il y a même une réalité quelconque ? Et si oui, disposons-nous d'un moyen pour découvrir en quoi consiste cette réalité?

 

19) De tels problèmes sont déconcertants et il est difficile d'admettre que même les hypothèses les plus bizarres peuvent être justes. Ainsi, notre table qui, jusqu'à présent, n'a suscité en nous que de vagues interrogations, est soudain la cause de problèmes aux solutions surprenantes. La seule chose dont nous soyons sûrs, c'est que cette table n'est pas réellement ce qu'elle paraît être. Au delà de ce modeste résultat, au point où nous en sommes, nous pouvons nous permettre toutes les conjectures. Leibniz nous dit que cette table est formée d'âmes individuelles réunies en une communauté ["community of souls"]; Berkeley affirme qu'elle est une idée divine; la science aux vues réalistes à peine moins étonnantes nous apprend que cette table est un énorme amas de particules électriques violemment agitées.

 

20) Devant ces solutions surprenantes, le doute s'élève et suggère que la table n'existe peut-être pas du tout. La philosophie, si elle ne peut répondre effectivement à toutes les questions que nous voudrions poser, est au moins capable de poser des questions qui accroissent en nous l'intérêt que suscite le monde; nous pouvons ainsi soupçonner les merveilleuses possibilités que recèlent les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne.

 

 

Chapitre 2. L'EXISTENCE DE LA MATIÈRE

 

21) Dans le présent chapitre nous aurons à nous demander si, en quelque sens que ce soit, la matière existe vraiment. Existe-t-il une table qui possède des caractéristiques intrinsèques bien définies et qui existe toujours, même lorsque je ne la vois pas ? ou bien la table est-elle purement un produit de mon imagination, comme le serait une table de rêve dans un songe qui durerait ? Cette question est de la plus haute importance. En effet, si nous ne pouvons être certains de l'existence indépendante des objets, nous ne pouvons pas davantage être certains de l'existence indépendante des autres êtres humains et encore moins de celle de l'esprit de ces êtres, puisque nous n'avons pas d'autres raisons de croire à leur esprit que celles tirées de l'observation de leur corps. Ainsi, si nous ne pouvons avoir de certitude quant à l'existence indépendante des objets, nous sommes comme abandonnés dans un désert, et il se peut alors que tout le monde extérieur ne soit que le produit de notre imagination, comme l'est un rêve, et que nous soyons seuls à exister. C'est là une hypothèse désagréable; à vrai dire, bien qu'il ne puisse être absolument prouvé qu'elle est fausse, il n'y a pas non plus de raison valable pour qu'elle soit vraie. Dans le présent chapitre, nous devons examiner pourquoi il en est ainsi.

 

22) Avant de nous embarquer dans des considérations hypothétiques, essayons de trouver un point de départ quelque peu solide et fixe. Bien que nous doutions de l'existence matérielle de la table, nous ne doutons pas de la réalité des témoignages sensoriels qui nous ont incité à penser qu'il y avait bel et bien une table; nous ne doutons pas du fait que nos regards nous font voir une certaine forme d'une certaine couleur, ni du fait que, en touchant cet objet, nous éprouvons une sensation de dureté. Ce n'est rien de tout cela, qui est d'ordre psychologique, que nous remettons en cause ici. Quelles que soient les autres choses dont on peut douter, tout au moins une grande partie de ce que nous révèle notre expérience immédiate semble indiscutable.

 

23) Descartes (1596-1650), le fondateur de la philosophie moderne, inventa une méthode de raisonnement que nous pouvons toujours utiliser avec profit, c'est celle du doute méthodique. Il décida qu'il ne croirait rien qui ne se présente si clairement et si distinctement à son esprit qu'il n'ait aucune raison de le mettre en doute. Tout ce qui lui semblerait sans fondement certain le ferait douter jusqu'au moment où il trouverait une raison valable d'abandonner son doute. En appliquant cette méthode de raisonnement, il fut peu à peu convaincu d'un fait: la seule existence dont il pouvait se dire absolument sûr, c'était la sienne. Il imagina un esprit trompeur qui, comme dans une perpétuelle fantasmagorie, présentait à ses sens des choses sans réalité; l'existence de cet esprit trompeur pouvait être improbable mais elle était tout de même possible; en conséquence, ii était permis d'entretenir un doute au sujet des choses que les sens perçoivent.

 

24) En tout cas, il n'était pas possible de douter de sa propre existence, car s'il n'existait pas, aucun esprit trompeur ne pouvait le leurrer, s'il doutait, c'est bien qu'il existait; s'il pouvait faire l'expérience de quoi que ce soit, c'est bien qu'il existait. Son expérience personnelle était donc pour lui une certitude absolue. "Je pense donc je suis", affirma Descartes (cogito, ergo sum ), et sur la base de cette certitude, il se mit à l'œuvre pour reconstruire l'univers de la connaissance que son doute méthodique avait détruit. En inventant cette méthode du doute raisonné, et en déterminant que les choses les plus certaines en sont des subjectives, Descartes a rendu un grand service à la philosophie, à tel point que ses enseignements peuvent encore aujourd'hui guider les philosophes modernes.

 

25) Cependant, il faut être circonspect en utilisant la méthode cartésienne: "Je pense, donc je suis" ne se limite pas à affirmer ce qui est certain au sens strict, mais affirme davantage. Il peut nous paraître absolument certain que nous sommes aujourd'hui la même personne qu'hier, ce qui est vrai en un sens. Mais le vrai Moi est aussi difficile à déterminer que l'existence de la table, et ne paraît pas posséder la certitude, absolue et convaincante, qui appartient a une certaine expérience particulière. Lorsque je regarde ma table et que je la vois d'une couleur brune, ce qui est immédiatement certain, ce n'est pas: "Je vois une couleur brune", mais: "une couleur brune s'offre à ma vue". Bien entendu, cette assertion suppose qu'il y a bien quelqu'un ou quelque chose qui voit la couleur brune, mais cela, à soi seul, n'implique pas l'existence plus ou moins permanente de l'être que nous appelons "Je" . En ce qui concerne une certitude immédiate, il se pourrait que l'être qui voit la couleur brune de la table fût tout à fait momentané et qu'il fût différent de celui qui, au moment d'après, éprouve une expérience différente.

 

26) Ainsi, ce sont nos pensées et nos sensations particulières qui présentent une certitude fondamentale, et il en est des rêves et des hallucinations comme des perceptions normales; lorsque nous rêvons ou que nous voyons un fantôme, nous éprouvons véritablement ce que nous croyons éprouver, mais, pour diverses raisons, il est admis que dans ce cas aucun objet physique ne correspond à ces sensations. Ainsi nous n'avons pas à considérer comme limitée de quelque manière la certitude de la connaissance que nous avons de notre propre vécu sensible sous prétexte de tenir compte de cas exceptionnels. Nous avons donc là, quoi qu'il en soit, une base solide d'où nous partirons pour la recherche de la connaissance véritable.

 

27) Voici le problème que nous avons à traiter: étant donné notre certitude quant à nos propres témoignages sensoriels, avons-nous une raison quelconque de les considérer comme des signes de l'existence d'une entité que nous nommerons "les objets physiques"? Après avoir énuméré tous les témoignages sensoriels que nous pouvons à juste titre considérer comme se rattachant à la table, avons-nous bien dit tout ce qu'il y avait à dire au sujet de cette table? Ou bien n'y a-t-il pas encore autre chose qui ne soit pas un témoignage sensoriel et qui subsiste même en notre absence ? Le sens commun répond sans hésitation qu'en effet il y a bien autre chose. Une table qui peut être achetée et vendue, poussée ici ou là, recouverte d'un tapis, etc., ne peut pas être seulement une accumulation de témoignages sensoriels. Si le tapis dissimule la table complètement, il empêche toute réaction sensorielle de notre part; et alors si la table n'était que témoignages sensoriels, elle aurait alors cessé d'exister, et le tapis serait suspendu en l'air, demeurant miraculeusement posé à l'endroit où la table se trouvait antérieurement. Cela semble carrément absurde; mais un philosophe doit apprendre à ne pas se laisser effrayer par les absurdités.

 

28)    Une importante raison qui nous incite à postuler l'existence d'un objet physique en plus des témoignages sensoriels est que nous voulons qu'il y ait un même objet pour différentes personnes. Quand dix personnes sont assises autour d'une table pour dîner, il paraît absurde de soutenir qu'elles ne voient pas la même nappe, les mêmes couverts, les mêmes verres. Toutefois, chaque personne a son témoignage sensoriel particulier: ce qui apparaît immédiatement aux yeux de l'un n'est pas immédiatement perçu par l'autre; chacun voit les objets sous un angle un peu différent et par conséquent les voit de façons variées. S'il doit donc exister des objets qui soient les mêmes pour tous, qui puissent en un certain sens être connus de personnes diverses et nombreuses, il doit bien y avoir quelque chose dont l'existence est indépendante des témoignages sensoriels particuliers qui apparaissent aux diverses personnes. Quelle raison avons-nous alors de croire en l'existence de tels objets ?

 

29) La première réponse qui vient naturellement à l'esprit est la suivante: bien que les diverses personnes présentes voient la table de façon légèrement différente, elles voient quand même des choses plus ou moins pareilles, et les variations qui peuvent exister dans leur façons de voir obéissent aux lois de la perspective et de la réflexion de la lumière, si bien qu'il est facile de déterminer l'objet qui cause les diverses réactions sensorielles des diverses personnes présentes. J'ai acheté ma table au précédent locataire de ma chambre; il n'était pas en mon pouvoir d'acheter aussi les témoignages sensoriels de mon prédécesseur qui s'évanouirent à son départ, mais j'ai pu acheter (et je l'ai fait) la perspective à peu près certaine de réactions sensorielles plus ou moins pareilles aux siennes. Des individus différents éprouvent donc des sensations semblables, et un individu donné en un endroit donné, mais à des moments variés recueille les mêmes témoignages sensoriels; ce sont ces faits qui nous font supposer qu'au delà des témoignages de nos sens se trouve un objet physique, le même pour tous et permanent, qui cause les réactions sensorielles d'individus différents, à des moments différents.

 

30) Or, les considérations énoncées ci-dessus supposent a priori qu'il existe d'autres individus que nous-mêmes et, dans cette mesure, elles présupposent ce qu'il s'agit de démontrer. Les autres personnes me sont représentées par certains témoignages de mes sens tels que leur apparence ou le son de leur voix, et si je n'avais aucune raison de croire qu'il existe des objets physiques indépendamment de mes propres témoignages sensoriels, je n'aurais pas non plus de raison de croire que les autres personnes existent autrement qu'en faisant partie de mes rêves. En conséquence, lorsque nous essayons de démontrer qu'il y a forcément des objets indépendants de nos propres témoignages sensoriels, nous ne pouvons faire appel au témoignage des autres personnes, puisque ce témoignage consiste aussi en témoignages sensoriels, et qu'il ne révèle rien de ce qu'éprouvent les autres, à moins que nos propres témoignages sensoriels ne soient des signes de choses qui existent indépendamment de nous. Il nous faut, en conséquence, s'il est possible, découvrir dans notre vécu sensible purement personnel des caractéristiques qui montrent, ou qui tendent à montrer, qu'il existe dans l'univers des entités autres que nous-mêmes et autres que notre vécu sensible personnel.

 

31) En un sens, il faut bien admettre que nous ne pourrons jamais prouver la réalité individuelle de ce qui est distinct de notre moi et de son expérience. Il n'y a aucune absurdité, au point de vue de la logique, à supposer que le monde ne contient que nous-mêmes avec nos pensées, nos sentiments, nos sensations et que toute autre chose n'est qu'illusion. Nos rêves nous montrent un univers fort compliqué, et cependant, au réveil, nous découvrons que tout n'était qu'illusion, c'est-à-dire que les témoignages sensoriels qui étaient les nôtres au cours de notre rêve, ne semblent pas avoir correspondu aux objets physiques que nous pourrions normalement associer à ces témoignages sensoriels. (Certes, lorsque nous prenons le monde matériel pour acquis, il est possible évidemment de trouver des causes physiques aux témoignages sensoriels que nous avons dans les rêves; par exemple, une porte qui bat peut faire naître le rêve d'une bataille navale. Dans ce cas, cependant, s'il y a bien une cause physique à notre réaction sensorielle, il n'y a pas d'objet physique qui corresponde à nos témoignages sensoriels comme le ferait une bataille navale véritable.) Il n'y a pas d'impossibilité, du point de vue de la logique, à supposer que l'existence entière n'est qu'un rêve au cours duquel nous créons nous-mêmes tous les objets qui se présentent à nous. Néanmoins, si cette hypothèse n'est pas logiquement impossible, il n'y a aucune raison de penser qu'il en est ainsi réellement; de plus, c'est là une hypothèse moins simple, pour expliquer les faits de notre existence, que la supposition fondée sur le bon sens et voulant qu'il y ait réellement des objets existant indépendamment de nous, et dont l'action sur nous provoque nos sensations.

 

32) La simplicité de cette dernière supposition peut s'illustrer de la façon suivante: si un chat est aperçu à un moment donné, en un endroit donné, puis à un autre moment en un autre endroit, nous en concluons naturellement que ce chat s'est transporté d'un endroit à l'autre, occupant une série de positions intermédiaires. Mais si le chat n'est qu'un ensemble de témoignages sensoriels il ne peut avoir occupé aucun des endroits où je ne l'ai pas vu; ainsi, nous devons supposer qu'il n'existait pas au moment où nous ne le voyions pas, et qu'il a pris subitement corps à chaque endroit où nous l'avons vu. Si le chat existe, que nous le voyions ou non, nous pouvons comprendre, d'après notre propre expérience vécue, qu'il devienne affamé d'un repas à l'autre, même s'il n'est pas devant nous; mais si le chat n'existe pas en dehors de notre présence, il nous paraîtra anormal que son appétit s'accroisse pendant le temps où il n'a pas d'existence, tout autant que s'il existait de façon permanente. Et si le chat ne consiste qu'en témoignages sensoriels, il ne peut avoir faim, puisque seule la faim que je ressens moi-même doit provoquer en moi une réaction. Ainsi, le comportement des témoignages sensoriels qui me représentent le chat, bien qu'il paraisse tout à fait normal lorsqu'on le considère comme expression de la faim, devient tout à fait inexplicable si l'on n'y voit que les seules transformations et mouvements de taches de couleur, lesquelles sont tout aussi incapables de ressentir la faim qu'un triangle de jouer au football.

 

33) Or, la difficulté que présente la réalité du chat n'est rien en comparaison de celle qui nous arrête si l'on considère les êtres humains. Quand un être humain parle, c'est-à-dire quand nous entendons des sons que nous associons à des idées et que nous voyons simultanément certains mouvements des lèvres et certains changements d'expression dans la physionomie, il est très difficile de supposer que les sons perçus ne sont pas l'expression de la pensée car nous savons qu'il en serait ainsi pour nous si nous émettions ces mêmes sons. Bien entendu, des faits analogues se produisent au cours des rêves et nous avons alors l'illusion d'avoir devant nous des interlocuteurs qui sont en réalité inexistants. Mais les rêves sont souvent engendrés par les circonstances de notre vie à l'état de veille, et ils sont plus ou moins explicables, d'après des principes scientifiques, à la condition d'admettre qu'il existe bien un monde physique. Ainsi, le principe de simplicité sous ses diverses formes nous pousse à adopter l'idée normale qu'il existe réellement, distinctes de nous et de nos témoignages sensoriels, des entités qui ne dépendent pas de nos perceptions.

 

34) Bien entendu, ce n'est pas par des raisonnements que nous en venons initialement à croire en un monde extérieur à nous. Nous trouvons cette croyance toute prête au fond de nous-mêmes, dès que nous commençons à réfléchir; c'est ce qu'on peut appeler une croyance innée ; or, nous n'aurions jamais été amenés à mettre en doute le bien-fondé d'une telle croyance s'il ne nous semblait pas, particulièrement en ce qui concerne le sens de la vue, que le témoignage sensoriel même était instinctivement assimilé par nous à l'objet extérieur à nous, alors que le raisonnement nous montre qu'une entité distincte de nous ne peut se confondre avec notre témoignage sensoriel. Toutefois, cette découverte (qui n'est nullement paradoxale en ce qui concerne le goût, l'odorat et l'ouïe et qui ne l'est que très peu dans le cas du toucher) laisse intacte une croyance instinctive qui nous persuade de l'existence réelle des objets correspondant à nos témoignages sensoriels. Puisque notre croyance à ce sujet n'entraîne pas de difficultés particulières, mais puisqu'au contraire, elle tend à simplifier et à systématiser le bilan de notre expérience, il ne paraît pas y avoir de raison valable pour la rejeter. Il nous est donc permis d'admettre ( avec cependant un léger doute né de notre connaissance des rêves) que le monde extérieur existe réellement et qu'il ne dépend pas entièrement, pour son existence, du fait que nous continuions à le percevoir.

 

35) L'argumentation qui nous conduit à cette conclusion a une base certes moins forte que nous le souhaiterions, mais elle ressemble à de nombreux raisonnements philosophiques, et elle mérite donc d'être étudiée brièvement dans son ensemble et au point de vue de sa validité. Toute connaissance, nous nous en rendons compte, se fonde obligatoirement sur des croyances innées, et si nous rejetons celles-ci, il ne reste rien. Or, parmi nos croyances innées, certaines sont d'un plus grand poids que d'autres; nombreuses sont celles, encore, qui grâce à l'habitude et à l'association, se sont mêlées à d'autres croyances qui ne sont pas réellement innées, mais qui sont faussement considérées comme telles.

 

36) Le rôle de la philosophie consiste à nous fixer la hiérarchie qui régit nos croyances innées, en commençant par celles qui sont le plus fortement ancrées en nous, en isolant chacune, autant que nous pouvons, pour la libérer le mieux possible de toute adjonction étrangère. La philosophie doit s'efforcer de montrer que, sous leur forme définitive, nos croyances innées n'entrent pas en conflit, mais que, bien au contraire, elles forment un tout harmonieux. Il ne peut jamais y avoir aucun motif de rejeter une telle croyance, sauf si elle est en désaccord avec une autre; si nos croyances sont en harmonie, leur ensemble forme un système digne d'être accepté.

 

37) Il est bien entendu possible que la totalité de nos croyances innées, ou que l'une d'elles soit fausse, et en conséquence toutes doivent être considérées avec une certaine suspicion; mais nous ne pouvons dès l'abord avoir une raison d'éliminer une croyance, si ce n'est en nous basant sur une autre croyance. Classons donc nos croyances innées et leurs conséquences, demandons-nous laquelle d'entre elles est la plus susceptible d'être, en cas de nécessité, modifiée ou abandonnée; nous pouvons ainsi arriver, en prenant pour règle de n'accepter comme uniques données que les croyances innées, à une mise en ordre systématique de nos connaissances, mise en ordre dans laquelle, même si la possibilité d'une erreur demeure, sa probabilité est réduite par l'interdépendance des diverses croyances, ainsi que par l'analyse critique qui a précédé notre acquiescement à ces croyances.

 

38) C'est là au moins un des rôles que la philosophie peut remplir. La plupart des philosophes, à tort ou à raison, sont persuadés que la philosophie est en mesure d'avoir une action encore plus importante, c'est-à-dire qu'elle peut nous faire acquérir une connaissance de l'univers dans son ensemble et celle de l'ultime réalité, connaissance impossible à atteindre sans vues philosophiques. Qu'il en soit ainsi ou non, la fonction la plus modeste à laquelle nous venons de faire allusion peut certainement être remplie par la philosophie, et suffit bien, pour ceux qui ont commencé à douter de la valeur du sens commun, à justifier le dur et pénible labeur qu'entraîne l'étude des problèmes philosophiques. (Fin du chapitre 2.)