Chaque chose, autant qu'il est en soi, s'efforce de persévérer dans son être. (III, Prop. VI)

L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être n'est rien d'autre que l'essence actuelle de cette chose. (Prop. VII)

L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être, n'enveloppe aucun temps fini, mais un temps infini. (Prop. VIII)

L'âme en tant qu'elle a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu'elle a des idées confuses, s 'efforce de persévérer dans son être pour une durée indéfinie et a conscience de son effort. (Prop. IX)

L'essence de l'âme est constituée par des idées adéquates et des inadéquates; par suite, elle s'efforce de persévérer dans son être en tant qu'elle a les unes et aussi en tant qu'elle a les autres ; et cela pour une durée indéfinie. Puisque, d'ailleurs, l'âme, par les idées des affections du corps, a nécessairement conscience d'elle-même, elle a conscience de son effort.

Cet effort, quand il se rapporte à l'âme seule, est appelé volonté; mais, quand il se rapporte à la fois à l'âme et au corps, il est appelé appétit; l'appétit n'est par là rien d'autre que l'essence même de l'homme, de la nature de laquelle suit nécessairement ce qui sert à sa conservation; et l'homme est ainsi déterminé à le faire. De plus, il n'y a aucune différence entre l'appétit et le désir, sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu'ils ont conscience de leurs appétits, et peut, pour cette raison se définir ainsi: le désir est l'appétit avec la conscience de lui-même. Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas ou ne tendons pas vers elle par appétit ou par désir, parce que nous jugeons qu'elle est bonne; c'est l'inverse : nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir. (Prop. IX, scolie)

 

Le désir est l'essence même de l'homme en tant qu'elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose par une affection quelconque donnée en elle.

Explication

Nous avons dit plus haut, dans le scolie de la proposition 9, que le désir est l'appétit avec la conscience de lui-même; et que l'appétit est l'essence même de l'homme en tant qu'elle est déterminée à faire les choses servant à sa conservation. Mais j'ai fait observer dans ce même scolie que je ne reconnais, en réalité, aucune différence entre l'appétit de l'homme et le désir. Que l'homme en effet, ait ou n'ait pas conscience de son appétit, cet appétit n'en demeure pas moins le même; et ainsi, pour ne pas avoir l'air de faire une tautologie, je n'ai pas voulu expliquer le désir par l'appétit, mais je me suis appliqué à le définir de façon à y comprendre tous les efforts de la nature humaine que nous désignons par les mots d'appétit, de volonté, de désir, ou d'impulsion. Je pouvais dire que le désir est l'essence même de l'homme en tant qu'elle conçue comme déterminée à faire quelque chose, mais il ne suivra de cette définition que l'âme pût avoir conscience de son désir ou de son appétit. Donc, pour que la cause de cette conscience fût enveloppée dans ma définition, il m'a été nécessaire d'ajouter, en tant qu'elle est déterminée par une affection donnée en elle, etc. Car par une affection de l'essence de l'homme, nous entendons toute disposition de cette essence, qu'elle soit innée ou acquise, qu'elle se conçoive par le seul attribut de la pensée ou par le seul attribut de la l'étendue, ou enfin se rapporte à la fois aux deux. J'entends donc par le mot de désir tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l'homme, lesquels varient selon la disposition variable d'un même homme et s'opposent si bien les uns aux autres que l'homme est traîné en divers sens et ne sait où se tourner. (Définition des affections I)

Il me reste à montrer ce que la raison nous prescrit et quelles affections s'accordent avec les règles de la raison humaine, quelles leur sont contraires...

Comme la raison ne demande rien qui soit contre la nature, elle demande donc que chacun s'aime lui-même, cherche l'utile propre, ce qui est réellement utile pour lui, appète tout ce qui conduit réellement l'homme à une perfection plus grande et, absolument parlant, que chacun s'efforce de persévérer dans son être, autant qu'il est en lui. Et cela est vrai aussi nécessairement que le tout est plus grand que la partie.

Ensuite, puisque la vertu (Déf. 8 : par vertu et puissance, j'entends la même chose; càd la vertu, en tant qu'elle se rapporte à l'homme, est l'essence même ou la nature de l'homme en tant qu'il a le pouvoir de faire quelque chose se pouvant connaître par les seules lois de la nature) ne consiste en rien autre qu'à agir suivant les lois de sa nature propre et que personne ne peut conserver son être (III, 7) sinon suivant les lois de sa nature propre, il suit de la :

1° Que le principe de la vertu est l'effort pour conserver l'être propre, et que la félicité consiste en ce que l'homme peut conserver son être.

2° Que la vertu doit être appétée pour elle-même, et qu'il n'existe aucune chose valant mieux qu'elle ou nous étant plus utile, à cause de quoi elle devrait être appétée.

3° Enfin que ceux qui se donnent la mort ont l'âme frappée d'impuissance et sont entièrement vaincus par des causes extérieures en opposition avec leur nature.... (IV, Prop. 18, scolie)

Spinoza, Ethique

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