Les " droits de l'homme ", distincts des " droits du citoyen " ne sont rien d'autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. La Constitution la plus radicale, celle de 1793, a beau dire: Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. " Art. 2. Ces droits (les droits naturels et imprescriptibles) sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. En quoi consiste la " liberté " ? (...) D'après la Déclaration des droits de l'homme de 1791: " La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. " La liberté est donc le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans nuire à autrui sont marquées par la loi, de même que la limite de deux champs est déterminée par un piquet. Il s'agit de la liberté de l'homme considéré comme monade isolée, repliée sur elle-même. (...) L'application pratique du droit de liberté, c'est le droit de propriété privée. Mais en quoi consiste ce dernier droit ? (...) Le droit de propriété est (...) le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer " à son gré " sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société; c'est le droit de l'égoïsme. C'est cette liberté individuelle, avec son application, qui forme la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de sa liberté. (...) Restent les autres droits de l'homme, l'égalité et la sûreté. Le mot " égalité " n'a pas ici de signification politique; ce n'est que l'égalité de la liberté définie ci-dessus: tout homme est également considéré comme une telle monade basée sur elle-même. (...) La sûreté est la notion sociale la plus haute de la société bourgeoise, la notion de la police: toute la société n'existe . que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. (...) Aucun des prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme en tant que membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé.

Marx, La question juive (1843), 10-18, pp. 37-39)

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