Combien n'a-t-on pas vanté chez Socrate le scrupule de probité qui lui fit repousser le conseil de s'enfuir de son cachot ! Ce fut de sa part une pure folie de donner aux Athéniens le droit de le condamner. (...)

S'il avait su, s'il avait pu savoir ce qu'il était, il n'eût reconnu à de tels juges aucune autorité, aucun droit. S'il fut faible, ce fut précisément en ne fuyant pas, en gardant cette illusion qu'il avait encore quelque chose de commun avec les Athéniens, et en s'imaginant n'être qu'un membre, un simple membre de ce peuple. Il était bien plutôt ce peuple même en personne, et seul il pouvait être son juge. Il n'y avait point de juge au-dessus de lui: n'avait-il pas d'ailleurs prononcé sa sentence ? Il s'était, lui, jugé digne du Prytanée. Il aurait dû s'en tenir là, et, n'ayant prononcé contre lui-même aucune sentence de mort, il aurait dû mépriser celle des Athéniens et s'enfuir. Mais il se subordonna, et il accepta le Peuple pour juge: il se sentait petit devant la majesté du Peuple.

S'incliner comme devant un " droit " devant la force qu'il n'aurait dû reconnaître qu'en y succombant, c'était se trahir soi-même, et c'était de la vertu. ( .) Socrate aurait dû savoir que les Athéniens n'étaient que ses ennemis et que lui seul était son juge. L'illusion d'une " justice " d'une " légalité ", etc., devait se dissiper devant cette considération que toute relation est un rapport de force, une lutte de puissance à puissance.

Stirner, L'Unique et sa propriété (1845), Deuxième partie, chap. 11, " Le Propriétaire "

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