C'est l'idée même qu'une doctrine de droit naturel pourrait donner une réponse absolue à la question du fondement de la validité du droit positif qui repose sur une illusion; selon ces doctrines, la validité du droit positif a pour fondement le droit naturel, c'est-à-dire un ordre établi par la nature en tant qu'autorité suprême, supérieure au législateur humain. En ce sens, le droit naturel est, lui aussi, un droit posé, c'est-à-dire un droit positif; mais alors que le droit positif proprement dit est posé par des volontés humaines, le droit naturel le serait par une volonté supra-humaine. Sans doute une doctrine de droit naturel peut-elle bien affirmer comme un fait - que la nature commande que les hommes doivent se conduire de telle ou telle façon. Mais puisqu'un fait ne peut pas être le fondement de la validité d'une norme, une doctrine de droit naturel correcte du point de vue logique ne peut pas nier que l'on ne peut donner un droit positif conforme au droit naturel comme valable que si l'on suppose la norme: on doit obéir aux commandements de la nature. Telle est la norme fondamentale du droit naturel. La doctrine du droit naturel ne peut, elle aussi, donner à la question du fondement de la validité du droit positif qu'une réponse conditionnée ou relative. Si elle affirme que la norme qui prescrit d'obéir aux commandements de la nature est immédiatement évidente, elle se trompe. Cette affirmation est inacceptable; non seulement d'une façon générale, il ne peut exister de normes de conduite humaine immédiatement évidentes; mais cette norme en particulier est beaucoup moins immédiatement évidente encore que toute autre. Car, pour la science, la nature est un système d'éléments régis par la légalité causale. Elle n'a aucune volonté, et, par suite, elle ne peut pas poser de normes. On ne peut admettre l'existence de normes immanentes à la nature, que si l'on inclut dans la nature la volonté de Dieu. Or l'idée que, dans la nature qui est une manifestation de sa volonté - ou de toute autre façon -, Dieu commanderait aux hommes de se conduire d'une certaine façon, est une thèse métaphysique que ne peut pas être acceptée d'une façon générale par une science quelconque et en particulier par la science du droit: la connaissance scientifique ne peut avoir pour objet un quelconque processus que l'on situe au-delà de toute expérience possible.

H. Kelsen, Théorie pure du droit (1934)

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