Le racisme est une théorie qui non seulement affirme l'existence de races humaines, mais leur confère une hiérarchie. Les racistes divisent l'humanité en races supérieures et races inférieures, avec toute une série de termes de transition. Et leurs arguments, bien que partant d'une donnée fausse, n'en présentent pas moins un semblant de logique.

Leur point de départ, c'est que, tout comme les espèces animales, l'espèce humaine est divisée en races qui possèdent chacune un équipement génétique singulier.

Or, cet équipement génétique n'attribue pas à toutes les races les mêmes aptitudes. Au cours de l'histoire, ce sont les races blanches qui ont donné les inventeurs, les conquérants, les organisateurs. Elles ont envahi le monde et promu la civilisation. Ce n'est pas là le fruit du hasard : si les Blancs ont gagné dans cette compétition naturelle, c'est qu'ils étaient génétiquement mieux armés, donc supérieurs. Dans cette échelle des valeurs, la race jaune s vient immédiatement après la blanche; les Indiens d'Amérique se situent plus bas; les Noirs d'Afrique tout en bas de l'échelle. Incapables d'initiative et de création, encore proches de l'animalité, les Noirs ont reçu de manière passive les acquis des Blancs qu'ils n'ont pas su toujours assimiler. [...]

En conséquence, tout métissage entre races de valeur différente est à proscrire. [...]

La règle sera donc non seulement d'interdire les unions entre sujets de races inférieures et sujets de races supérieures, mais d'isoler, au sein de cellesci, les individus suspects de quelque métissage ancestral. Par là, le racisme amène à appliquer à l'homme les règles de l'élevage et de la domestication. Dans ses ultimes conséquences, il aboutit à l'isolement des «inférieurs», presque toujours à leur exploitation, et, dans certains cas, à leur extermination. À un moment ou à un autre, il débouche sur le génocide.

Or, tout ce qui fonde ce raisonnement est faux. Premièrement, dans notre espèce, les races biologiques n'existent pas, ou n'existent plus. C'est par une ségrégation volontaire que l'homme pourrait créer de nouvelles races humaines comme il le fait périodiquement pour les animaux domestiques. Mais ces races pures, artificielles, seraient fragiles et de faible valeur biologique.

Deuxièmement, il n'y a pas de groupe humain biologiquement supérieur ou inférieur. Pour des raisons historiques, quelques populations se sont développées plus vite que d'autres, ont disposé plus tôt d'acquis technologiques et culturels, qui leur ont conféré une certaine puissance. [...]

Biologiquement sain pour l'homme, le monde tempéré devint privilégié dès qu'il put, grâce à la culture néolithique, nourrir de grands rassemblements de peuples et permettre leur sédentarisation, I'expansion d'une société sédentaire étant fondée sur la technologie; désormais, une véritable pression sélective va s'exercer en faveur d'une technologie toujours plus poussée: l'humanité entre dans un cycle où chaque nouvelle acquisition entraîne un avantage qui permet à son tour de nouvelles acquisitions. Si les Blancs du néolithique avaient connu les mêmes conditions écologiques que les Noirs de la forêt tropicale, il est probable qu'ils auraient subi le même retard. En amalgamant de façon abusive caractères innés et caractères acquis, les racistes commettent la même erreur que les premiers anthropologues, ils laissent croire que culture et technologie sont le produit direct du génome. C'est considérer les traits morphologiques et en premier lieu la couleur de la peau, comme de véritables marqueurs des qualités morales et intellectuelles.

 

Jacques Ruffié, De la biologie à la culture (1976), Éd. Flammarion, 1978, pp. 419-421.

 

 

 

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