Voici donc un contrat originaire, sur lequel seul peut être fondée parmi les hommes une constitution civile, donc entièrement légitime, et constituée une république. - Mais ce contrat (appelé contra ctus originanus oupactum sociale) en tant que coalition de chaque volonté particulière et privée dans un peuple en une volonté générale et publique (visant à une législation d'ordre uniquement juridique), il n'est en aucune façon nécessaire de le supposer comme un fait < Factum> (et il n'est même pas possible de le supposer tel), tout comme s'il fallait avant tout commencer par prouver par l'histoire qu'un peuple, dans les droits et les obligations duquel nous sommes entrés à titre de descendants, avait dû un jour accomplir réellement un tel acte et nous en avoir laissé, oralement ou par écrit, un avis certain ou un document, permettant de s'estimer lié à une constitution civile déjà existante. C'est au contraire une simple Idée de la raison, mais elle a une réalité (pratique) indubitable, en ce sens qu'elle oblige tout législateur à édicter ses lois commepouvant avoir émané de la volonté collective de tout un peuple, et à considérer tout sujet, en tant qu'il veut être citoyen, comme s'il avait concouru à former par son suffrage une volonté de ce genre. Car telle est la pierre de touche de la légitimité de toute loi publique. Si en effet cette loi est de telle nature qu'il soit impossible que tout un peuple puisse y donner son assentiment (si par exemple elle décrète qu'une classe déterminée de sujets doit avoir héréditairement le privilège de la noblesse), elle n'est pas juste; mais s'il est seulement possible qu'un peuple y donne son assentiment; c'est alors un devoir de tenir la loi pour juste, à supposer même que le peuple se trouve présentement dans une situation ou dans une disposition de sa façon de penser telles, que si on le consultait là-dessus, il refuserait probablement son assentiment.

Emmanuel Kant, Sur l'expression courante: il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique cela ne vaut rien (1793), trad. L Guillermit, Ed. Vrin, 1977, pp. 38-39.

 

 

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