L'enfant humain ne peut pas accomplir son évolution vers la civilisation sans passer par une phase plus ou moins accentuée de névrose. (...) [Il] est incapable de réprimer par un travail mental rationnel un aussi grand nombre d'impulsions instinctives que celles qu'il possède, impulsions dont plus tard, en tant que civilisé, il n'aurait que faire, et il doit par suite en venir à bout par des actes de refoulement, derrière lesquels d'ordinaire se cache un mobile de peur. La plupart de ces névroses infantiles disparaissent spontanément quand l'enfant grandit; tel est particulièrement le cas des névroses obsessionnelles de l'enfance.

On pourrait de même admettre que l'humanité dans son ensemble passe, au cours de son évolution, par des états analogues aux névroses (et ceci pour les mêmes raisons). Aux époques d'ignorance et de faiblesse intellectuelle qu'elle a d'abord traversées, l'humanité ne pouvait réaliser les renoncements aux instincts indispensables à la vie en commun des hommes qu'en vertu de forces purement affectives. Et le résidu de ces démarches, analogues au refoulement, qui eurent lieu aux temps préhistoriques, subsiste longtemps en tant que partie intégrante de la civilisation.

La religion serait la névrose obsessionnelle universelle de l'humanité; comme celle de l'enfant, elle dérive du complexe d'Oedipe, des rapports de l'enfant au père. D'après ces conceptions, on peut prévoir que l'abandon de la religion aura lieu avec la fatale inexorabilité d'un processus de croissance, et que nous nous trouvons à l'heure présente justement dans cette phase de l'évolution.

Freud, L'Avenir d'une illusion (1907), P.U.F., pp. 60-61

 

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