En voyant l'aveuglement et la
misère de l'homme, en regardant tout l'univers muet et
l'homme sans lumière abandonné à
lui-même, et comme égaré dans ce recoin de
l'univers sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il est venu y faire, ce
qu'il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance,
j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi
dans une île déserte et effroyable, et qui
s'éveillerait sans connaître et sans moyen d'en
sortir. Et sur cela j'admire comment on n'entre point en
désespoir d'un si misérable état. Je vois
d'autres personnes auprès de moi d'une semblable nature. Je
leur demande s'ils sont mieux instruits que moi. Ils me disent que
non et sur cela ces misérables égarés, ayant
regardé autour d'eux et ayant vu quelques objets plaisants
s'y sont donnés et s'y sont attachés. Pour moi je
n'ai pu y prendre d'attache et considérant combien il y a
plus d'apparence qu'il y a autre chose que ce que je vois j'ai
cherché si Dieu n'aurait point laissé quelque marque
de soi.Je vois plusieurs religions contraires et partant toutes
fausses, excepté une. Chacune veut être crue par sa
propre autorité et menace les incrédules. Je ne les
crois donc pas là-dessus. Chacun peut dire cela. Chacun
peut se dire prophète mais je vois la chrétienne et
je trouve des prophéties, et c'est ce que chacun ne peut
pas.
Pascal, Pensées,
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