7. Jusqu'ici nous n'avons parlé qu'en simples physiciens: maintenant il faut s'élever à la métaphysique, en nous servant du grand principe, peu employé communément, qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante; c'est-à-dire que rien n'arrive sans qu'il soit possible à celui qui connaîtrait assez les choses de rendre une raison qui suffise pour déterminer pourquoi il en est ainsi, et non pas autrement. Ce principe posé, la première question qu'on a droit de faire sera: Pourquoi il y a plutôt quelque chose que rien? Car le rien est plus simple et plus facile que quelque chose. De plus, supposé que des choses doivent exister, il faut qu'on puisse rendre raison pourquoi elles doivent exister ainsi, et non autrement.

8. Or, cette raison suffisante de l'existence de l'univers ne se saurait trouver dans la suite des choses contingentes, c'est-à-dire des corps et de leurs représentations dans les âmes; parce que la matière étant indifférente en elle-même au mouvement et au repos, et à un mouvement tel ou tel autre, on n'y saurait trouver la raison du mouvement, et encore moins d'un tel mouvement. Et quoique le présent mouvement qui est dans la matière vienne du précédent, et celui-ci encore d'un précédent, on n'en est pas plus avancé, quand on irait aussi loin que l'on voudrait; car il reste toujours la même question. Ainsi, il faut que la raison suffisante, qui n'ait plus besoin d'une autre raison, soit hors de cette suite des choses contingentes, et se trouve dans une substance qui en soit la cause, et qui soit un être nécessaire, portant la raison de son existence avec soi; autrement on n'aurait pas encore une raison suffisante où l'on puisse finir. Et cette dernière raison des choses est appelée Dieu.

9. Cette substance simple primitive doit renfermer éminemment les perfections contenues dans les substances dérivatives qui en sont les effets; ainsi elle aura la puissance, la connaissance et la volonté parfaites, c'est-à-dire elle aura une toute-puissance, une omniscience et une bonté souveraines. Et comme la justice, prise fort généralement n'est autre chose que la bonté conforme à la sagesse, il faut bien qu'il y ait aussi une justice souveraine en Dieu. La raison qui a fait exister les choses par lui, les fait encore dépendre de lui en existant et en opérant: et elles reçoivent continuellement de lui ce qui les fait avoir quelque perfection; mais ce qui leur reste d'imperfection vient de la limitation essentielle et originale de la créatures.

10. Il suit de la perfection suprême de Dieu qu'en produisant l'univers il a choisi le meilleur plan possible où il y ait la plus grande variété, avec le plus grand ordre, le terrain, le lieu, le temps les mieux ménagés: le plus d'effet produit par les voies les plus simples; le plus de puissance, le plus de connaissance, le plus de bonheur et de bonté dans les créatures que l'univers en pouvait admettre. Car tous les possibles prétendant à l'existence dans l'entendement de Dieu à proportion de leurs perfections, le résultat de toutes ces prétentions doit être le monde actuel le plus parfait qui soit possibles. Et sans cela il ne serait pas possible de rendre raison pourquoi les choses sont allées plutôt ainsi qu'autrement.»

Leibniz, Principes de la nature et de la grâce fondés en raison (1718), §§ 7 à 10 

 

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