Les philosophes conçoivent les passions qui nous tourmentent comme des vices dans lesquels les hommes tombent par leur propre faute. C'est pourquoi ils ont coutume (l'en rire, de les déplorer, de les réprimander et même de les dénoncer all nom de Dieu quand ils veulent paraitre plus pieux que les autres. Ils croient ainsi accomplir une oeuvre agréable à Dieu et atteindre le sommet de la sagesse, lorsqu'ils ont appris à louer de diverses manières suie nature humaine qui n'existe nulle part era flétrir par leurs discours celle qui existe réellement. Ils conçoivent les hommes, en effet, non comme ils sont, mais comme ils voudraient qu'ils fussent: la conséquence en est que, pour la plupart, au lieu d'une Éthique, ils ont écrit une Satire et n'ont jamais conçu un système politique qui puisse être appliqué pratiquement; le système politique qu'ils conçoivent doit être tenu pour une chimère ou pour un système qu'on pourrait établir datas lin pays d'Utopie ou dans l'âge d'or des poètes on l'on n'en a pas du tout besoin. Puisque donc de toutes les sciences,, qui donnent lieu à des applications, c'est la science politique qui passe pour s'accorder e moins avec la pratique, on juge que, pour gouverner on État, personne n'est moins qualifié que les théoriciens ou les philosophes.

D'un autre côté on croit que les hommes politiques tendent des pièges aux hommes plutôt qu'ils ne les dirigent; on pense qu'ils. sont plus rusés que sages. Bien sûr, l'expérience leur a appris qu'il y aura des vices tant qu'il y aura des hommes. Par conséquent, lorsqu'ils s'efforcent de devancer la méchanceté humaine, et cela par des procédés qu'une longue expérience pratique leur a enseignés et dont ont coutume d'user des hommes conduits par la crainte plutôt que par la raison, ils semblent s'opposer à la religion et principalement aux théologiens qui croient que les souveraines puissances doivent gérer les affaires publiques selon les mêmes règles de la moralité qui sont obligatoires polir un particulier. Cependant on ne peut douter que les hommes politiques ont traité des problèmes politiques avec plus de bonheur que les philosophes. En effet, guidés par l'expérience, ils n'otit rien enseigné qui s'écarte de la pratique.

 

Baruch Spinoza, Traité théologico-politique (1677). chap. I, § 1et Il, trad S; Zac. Ed. Vrin 1968, pp. 29 -31

 

 

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