L'homme de volonté forte est celui qui entend sans faiblir la voix encore faible de la raison; qui, sans détourner les yeux, voit venir l'idée annonciatrice de la mort, lui fait bon accueil, s'y attache avec force, l'affirme et la défend contre l'armée des images qui lui donnent l'assaut et voudraient la chasser hors de la conscience. Ainsi soutenue par un effort résolu de l'attention, l'idée antipathique réussit par transformer du tout au tout la conscience de l'homme. Et, avec sa conscience, son action change, car l'idée nouvelle ne manque pas de produire tous ses effets moteurs, sitôt qu'elle est maîtresse incontestée du champ de ses pensées. Toute la difficulté est qu'elle en prenne possession. Quoique la tendance spontanée de la pensée soit tout autrement orientée, l'attention doit être maintenue, par force, sur cet objet unique jusqu'à ce qu'il ait assez grandi pour se soutenir lui-même aisément sous le regard de l'esprit. Cet effort de l'attention est l'acte fondamental de la volonté. Celle-ci n'a, pratiquement, plus rien à faire, dans la plupart des cas, quand l'idée naturellement antipathique a pu s'établir à demeure dans la conscience. Alors, grâce au lien mystérieux qui unit la pensée et les centres moteurs, ces derniers entrent en jeu et les organes corporels obéissent naturellement d'une manière que nous ne connaissons pas, même par conjoncture.

D'après tout cela, on peut voir que le point d'application immédiat de l'effort volitionnel réside exclusivement dans le monde mental. Tout le drame est un drame mental; toute la difficulté est d'ordre mental, et porte sur l'objet de notre pensée. ... C'est cette idée qui est le point d'application du vouloir. Laissée à elle-même, elle glisserait hors de l'esprit; mais nous ne voulons pas la laisser glisser. Consentir à la présence sans partage de l'idée, tel est l'unique effet de l'effort. Sa seule fonction est d'obtenir le sentiment de ce consentement. Pour cela il n'est qu'un moyen, maintenir l'idée à laquelle il s'agit de consentir, l'empêcher de vaciller et de s'évanouir, la soutenir énergiquement devant l'esprit, jusqu'à ce qu'elle le remplisse. Le consentement à l'idée et à son objet est cette conscience ainsi remplie par l'idée et par ses associées et alliées. Si, maintenant, cette idée implique un mouvement corporel, soit par elle-même, soit par ce qu'elle enveloppe, alors nous donnons au consentement ainsi laborieusement obtenu le nom de "volition motrice". Car la nature "soutient" alors instantanément nos bonnes volontés intérieures en les faisant suivre de changements extérieurs qui sont de son domaine. Elle ne le fait en aucun autre cas. il est dommage qu'elle ne se soit pas montrée plus généreuse, et qu'elle n'ait pas fait un monde dont tous les éléments seraient aussi immédiatement soumis à notre volonté!

 

W. James, The principles of psychologie, New-York 1890 

 

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