Et puisque, à la fois, l'homme injuste est celui qui manque à l'égalité et que l'injuste est inégal, il est clair qu'il existe aussi quelque moyen entre ces deux sortes d'inégal. Or cc moyen est l'égal, car en toute espèce d'action admettant le plus et le moins il y a aussi l'égal. Si donc l'injuste est inégal, le juste est égal, et c'est là, sans autre raisonnement, une opinion unanime. Et puisque l'égal est moyen, le juste seta un certain moyen. Or l'égal suppose au moins deux termes. Il s'ensuit nécessairement, non seulement que le juste est à la fois moyen, égal, et aussi relatif, c'est-à-dire juste pour certaines personnes, mais aussi qu'en tant que moyen, il est entre certains extrêmes (qui sont le plus et le moins), qu'en tant qu'égal, il suppose deux choses « qui sont égales», et qu'en tant que juste, il suppose certaines personnes » pour lesquelles il est juste». Le juste implique donc nécessairement au moins quatre termes: les personnes pour lesquelles il se trouve en fait juste, et qui sont deux, et les choses dans lesquelles il se manifeste, at! nombre de deux également. Et ce sera la même égalité poux les personnes et pour les choses: car le rapport qui existe entre ces dernières, à savoir les choses à partager, est aussi celui qui existe entre les personnes. Si, en effet, les personnes ne sont pas égales, elles n'auront pas des parts égales; mais les contestations et les plaintes naissent quand, étant égales, les personnes possèdent ou se voient attribuer des parts non égales, ou quand, les personnes n'étant pas égales, leurs parts sont égales. On peut encore montrer cela en s'appuyant sur le fait qu'on tient compte de la valeur propre des personnes. Tous les hommes reconnaissent, en effet, que la justice dans la distribution doit se baser sur un mérite de quelque sorte, bien que tous ne désignent pas le même mérite, les démocrates le faisant consister dans une condition libre, les partisans de l'oligarchie, soit dans la richesse, soit dans la noblesse de race, et les défenseurs de l'aristocratie, dans la vertu.

Le juste est, par suite, une sorte de proportion (car la proportion n'est pas seulement une propriété d'un nombre formé d'unités abstraites, mais de tout nombre en général), la proportion étant une égalité de rapports et supposant quatre termes au moins.

Aristote, Ethique à Nicomaque, livre V, 6

 

 

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