" Le mot existence implique une très ancienne contrepartie que dit un autre mot :  le mot essence. En réalité, c'est même plutôt le mot essence qui est premier. Essentia, c'est la transposition directe sur le plan nominal du verbe, esse: être. Les Latins, quand il leur arrivait de philosopher, c'est-à-dire de méditer sur ce qui est, parlaient. nous le savons par Sénèque, d'essence plutôt que d'existence. En latin, le mot existentia est un vocable très tardif. Non pas sans doute le verbe existere ! Mais il ne signifie pas du tout exister. Existere c'est d'abord sortir: sortir d'un domaine, d'une maison, d'une cachette c'est, ensuite et par extension, se montrer. (...)

Le mot essentia, qui, à l'origine, disait l'être lui-même, s'est de plus en plus spécialisé dans la tâche de dire ce que sont les choses, par opposition au fait qu'elles sont. Ce qu'est une chose, c'est la manière dont on peut en donner une définition qui la distingue spécifiquement des autres choses en l'identifiant à elle-même

Mais, quelque parfaite que soit la définition, elle paraît généralement laisser en suspens l'existence de ce qu'elle définit. Elle nous laisse, comme on dit, au niveau du possible. Reste à passer du possible à l'être. C'est dans ce contexte que va se faire jour la nécessité d'un autre mot dont la fonction sera de dire ce que le mot essence dit de moins en moins, et cet autre mot sera de plus en plus celui qui, à l'origine, voulait plutôt dire sortir, provenir de, se montrer, se manifester, c'est-à-dire le mot existence."

Jean BEAUFRET (1907-1982)Introduction aux philosophies de l'existence (1963),
Gonthier-Médiations, pp. 79-80

 

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