l’espace et le temps

 
Dissertation
Faut-il vivre avec son temps ?
Commentaire
Texte de Berson sur la perception de la durée

 
 

Plan

 

Introduction

- Pouquoi traiter les deux notions ensemble ?

- Qu'entend-on par l'"espace" et par le "temps" ?

- Problème de fond

 

I. L'espace et le temps, des vues de l'esprit ?

A. L'espace et le temps, "formes a priori de la sensibilité".

B. L'espace

C. Le temps

 

II. L'espace et le temps, des réalités qui nous constituent?

A. L'espace, le temps et nous

B. Réalité de l'espace et du temps

C. Relativité de l'espace et du temps

Conclusion

L'homme citoyen du monde, spatio-temporel, et pourtant en lien vital, avec l'idéal, trans-spatio-temporel.

 

Introduction

 

- Pourquoi traiter les deux notions ensemble ?

. Certes, l’espace et le temps sont de nature différente ... A preuve: je puis me déplacer dans l’espace alors que je ne saurais le faire dans le temps.

. Et pourtant ils sont indissociables ... A preuve: où que j’aille, il me faudra du temps pour m’y rendre. Cf. Théorie de la relativité d’Einstein, où le temps est la quatrième dimension de l’espace.

- Qu’entend-on par l’ "espace" et par le "temps" ?

• Par l "espace" on peut entendre trois choses:
1) En un sens non philosophique, l'espace est à peu près synonyme de lieu ou d’emplacement, voire d’interstice ou d’intervalle, càd de qqc de déterminé et de limité soit matériellement, par des murs, soit mentalement, par des repères. Mais de l’autre côté du mur, il y a d’autres espaces et encore d’autres.

2) En un deuxième sens, opposé au premier, l’espace désigne ce qui est au-delà, non pas un au-delà métaphysique ou fantastique, mais un au-delà de l’atmosphère terrestre ou, mieux, là où un projectile peut être arraché à l’attraction terrestre. Cet espace vide est pourtant peuplé d’objets lointains traversé de rayonnement et de particules. Mais le propre des objets et d’avoir un place et d’en changer.

3) C’est le système de toutes les places possibles que l’on appelle l’espace en un troisième sens, et que nous désignerons par l’espace des géomètres.

• Le "temps", impossible à définir en lui-même

Cf. Augustin & Pascal: Qu'est-ce donc que le temps? Si personne ne me le demande, je le sais; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus. " (Saint Augustin, Confessions, XI, 14) Pascal prend le temps comme exemple des termes premiers qu’il est impossible de définir et dont, pourtant chacun sait intuitivement de quoi il s’agit (De l’Esprit de géométrie (1657), Seuil p.360. 

Toutefois, selon l’appréhension que nous pouvons en avoir, nous distinguerons

1) Le temps tel que les horloges le mesurent

Produit objectif d’une mesure, il est posé comme étant homogène, à l’image des cycles cosmiques. [1 jour=24h=1440mn]

Cf. Aristote " Le temps est nombre du mouvement  selon l’antérieur et le postérieur. " (Physique 4, 11, 220a)

2) Le temps tel que nous en éprouvons la durée

Subjectif, tout entier fonction de nos attentes et de nos craintes, il est radicalement hétérogène. [ Ex. Dans l’ennui, le temps figé]

Proust, Marcel 1871-1922 " Les jours sont peut-être égaux pour une horloge, mais pas pour un homme. " Chroniques, Vacances de Pâques Paru dans le Figaro, 25 mars 1913.

Augustin: " Le temps n’est rien d’autre qu’une distension. Mais une distension de quoi, je ne sais au juste, probablement de l’âme elle-même " (Confessions, XI, 26)

 

3) Le temps tel que les calendriers le planifient

Destiné à régler la vie collective, il en épouse les rythmes, variables selon les secteurs où se déroule l’existence en commun. [Ex. Calendrier scolaire, civil, religieux]

Durkheim "Un calendrier exprime le rythme de l'activité collective en même temps qu'il a pour fonction d'en assurer la régularité. "

 

- Problème

Ce que, déjà, nous avons dit de l’espace et du temps, aussi indissociables l’un dans l’autre que relatifs à nos repères, nous conduit à nous interroger sur leur réalité: Quelle est la réalité de l’espace et du temps: sont-ils de pures façons qu’a notre esprit de voir et de situer les choses ou bien sont-ils la substance même dont les choses et nous-mêmes sommes pétris?

Ainsi l’espace est tout aussi inconcevable sans les objets qui l’occupent que ces objets eux sans lui: un espace vide ne serait-il pas vide de tout espace?

Certes le passé et le futur semblent n’avoir aucune existence en dehors de la représentation que nous nous en faisons (Cf. Augustin) et pourtant d’où nous viendrait l’idée que nous nous en faisons sinon d’eux?

 

 

I. L’espace et le temps, des vues de notre esprit?

 

A. L’espace et le temps, formes a priori de la sensibilité.

 

La question de la nature de l’espace et du temps. Cf. Kant
Question: " Que sont l'espace et le temps ? Sont-ils des êtres réels ? Sont-ils seulement des déterminations ou même des rapports des choses, mais des rapports de telle espèce qu'ils ne cesseraient pas de subsister entre les choses, même s'ils n'étaient pas intuitionnés ? Ou bien sont-ils tels qu'ils ne tiennent qu'à la forme de l'intuition et par conséquent à la constitution subjective de notre esprit (Gemüth) sans laquelle ces prédicats ne pourraient être attribués à aucune chose? "(Kant, Critique de la raison Pure, p.55.

Réponse: L’espace et le temps sont des formes a priori de notre sensibilité, càd des structures de notre rapport à nous-même et au monde, qui sont constitutives de notre sensibilité: quoique nous percevions du monde, nous le percevons " dans l’espace " et quoi que nous percevions de notre vie intérieure et du monde, nous les percevons " dans le temps ". Si l'on fait abstraction de toute matière sensible, il subsiste la forme même des intuitions: l'espace et le temps .

L’espace, forme du sens externe.

"L’espace n'est rien autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c'est-à-dire la condition subjective de la sensibilité sous laquelle seule nous est possible une intuition extérieure." (E. KANT, Critique de la raison pure, PUF, 1944, pp. 58-59

Le temps, forme du sens interne.

" Le temps n'est autre chose que la forme du sens interne, c'est-à-dire de l'intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. " E. KANT, Critique de la raison Pure pp. 63-64)

 

B. L’espace

 

L'espace n'est pas un objet

En disant que l’espace est une " forme a priori de la sensibilité ", Kant veut dire que l’espace n’existe pas en dehors de l’activité par laquelle notre esprit se représente des objets en les disposant à distance les uns des autres. Semblable à la lumière qui nous permet de voir tout ce que nous voyons sans pouvoir être vue elle-même, l’espace est ce en quoi nous percevons tout ce que nous percevons, sans pouvoir être lui-même objet d’une quelconque perception.

Ainsi, voir un tableau noir, c’est voir qqc que l’on situe dans une salle de classe, sur un mur à une certaine distance du sol, du plafond, de la fenêtre et de la porte... Otons le tableau, le mur, le plafond, le sol, la fenêtre et la porte et ou nous verrons encore quelque chose en relation de lieu avec d’autres choses ou nous ne verrons plus rien !

L'space est une forme

L’espace, ordre des simultanés

Déjà Leibniz faisait de l’espace un ordre pur et simple, " l'ordre des corps entre eux " tels qu’il existent ou peuvent exister en même temps (qu’il appelle à ce titre " compossibles ".

Dire que l’espace est un ordre et non une chose (contrairement à Descartes), c’est dire que " il n'est rien du tout sans les corps que la possibilité d'en mettre "

Kant mettra la possibilité de disposer les corps - par quoi se définit l’espace - au compte de l’esprit en tant qu’il est capable de se représenter sensiblement quelque chose.

Ses propriétés:

L’espace ainsi conçu constitue un milieu homogène et illimité, défini par l’extériorité de ses parties (partes extra partes), dans lequel la perception externe situe les objets sensibles et leurs mouvements.

Ses propriétés sont celles de l’espace euclidien: il est continu, homogène et isotrope ( toutes directions ont les mêmes propriétés). Il est en outre tri-dimensionnel (par un point on peut mener trois droites perpendiculaires entre elles et trois seulement) et homaloïdal (on peut y construire des figures semblables à toute échelle).

L'espace, forme a priori de la sensibilité

La conception leibnizienne tend à appauvrir l’espace en le réduisant à ses propriétés logiques, Kant au contraire souligne le caractère intuitif de l’espace sensible. Pour lui l’espace, tout comme le temps, est une " forme a priori de la sensibilité " (il faut entendre par sensibilité la fonction par laquelle les objets nous sont donnés dans l’expérience).

Kant conçoit donc l’espace comme une condition de possibilité de l’expérience. Exclu des " choses-en-soi ", l’espace doit par conséquent être limité aux phénomènes et à l’expérience possible: "L’espace n'est rien autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c'est-à-dire la condition subjective de la sensibilité sous laquelle seule nous est possible une intuition extérieure." ((Kant, Critique de la Raison Pure)

Le fait que Kant pense l’espace en y retrouvant les propriétés de l’espace euclidien, celui de la géométrie correspondant à l’expérience familière, devra - le moment venu - nous amener à préciser en quel sens et jusqu’à quel point il est a priori...

 

C. Le temps

 

Le temps n'est pas un objet

Si l’espace peut nous donner l’illusion d’être une réalité en soi, du seul fait que nous pouvons le parcourir, non seulement du regard mais même physiquement, il n’en va de même du temps, par nature insaisissable, évanescent. Si nous pouvons le concevoir comme constitué par une suite d’instants, passés présents et futurs, nous sommes parfaitement conscients de n’avoir réellement accès qu’à l’instant présent.

Cf. Augustin, Confessions, Livre XI, chap. XX

Le temps est une forme

Le temps, ordre des successifs
Leibniz constatera à son tour que "  les instants hors des choses ne sont rien " et il ajoutera qu’ " ils ne consistent que dans leur ordre successif. " (TP.290)

Kant en fera l'intuition que nous avons de nous-mêmes et de notre état intérieur, en tant que celui-ci est appréhendé comme changeant.

Cet ordre se caractérise par son irréversibilité.

Si nous sommes incapables de nous représenter le temps nous pouvons néanmoins en saisir la caractéristique essentielle: il passe, irréversiblement..

Impossible de remonter le cours du temps et d'anticiper sur celui-ci; ce qui a eu lieu a eu lieu une fois pour toutes et ce qui n'a pas encore eu lieu ne pourra avoir lieu qu'en son temps.

Cf. Héraclite: "on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve ".

Cf. Impossibilité de la machine à remonter le temps.

Le temps = forme a priori de la sensibilité

Rappel: dire que le temps est une forme de la sensibilité, c’est dire que le temps n’est pas une substance, une chose, mais un ordre, un système de relation, en un mot, une forme.

Dire que cette forme est a priori, c’est dire qu’elle s’impose à toute expérience, quel que soit son contenu: deux événements distincts sont successifs ou simultanés; et s’ils sont successifs, leur ordre ne peut être changé. Cette nécessité est la marque de l’a priori. Pour qu’un objet, quel qu’il soit puisse être donné, il faut qu’il se présente en un instant déterminé du temps, avant, pendant, après d’autres.

Mais tout cela ne concerne que notre expérience, les phénomènes, non les choses en elles-mêmes. Tout ce dont nous faisons l’expérience s’inscrit dans une certaine durée. Mais nous ignorons si elle est le denier mot des choses et donc s’il y a de l’être sans changement, éternel... Nous pouvons tout au plus être tentés d’y croire, comme l’a cru Platon qui imaginait que le temps n’était que l’image mobile de l’éternité immobile. Cf. Timée. Nous pouvons croire à un au-delà de la vie temporelle... Mais nous ne pouvons nous la représenter !

 

 

II. L’espace et le temps, des réalités qui nous constituent?

 

A. L’espace, le temps et nous

 

Etre-là ou ne pas être
Naître = venir au monde, en un certain lieu et en un certain temps.
Cf. Double mention du lieu et de la date de naissance dur nos cartes d’identité.

Exister = être-là (Heidegger), càd exister ici et maintenant

Cf. Je ne peux pas plus exister ailleurs qu'exister hier ou demain"   (Ruyer)

Mourir = quitter ce monde, ne plus être " là " 

De quelqu'un qui est mort on dira qu’il est disparu et l’on pourrait ajouter " sans laisser d’adresse "

Nous sommes corps et âme, indissociablement, composés et uns, faits d’espace-temps.

Cf. Anne Philippe dans Le Temps d'un Soupir (pp.117-118). Parlant de son défunt mari, G. Philippe, elle écrit: "Je t'ai trop aimé pour accepter que ton corps disparaisse et proclamer que ton âme suffit et qu'elle vit. Et puis, comment faire pour les séparer, pour dire: ceci est ton âme, ceci est ton corps? Ton sourire et ton regard, ta démarche et ta voix étaient-ils corps ou esprit? L'un et l'autre, mais inséparables."

Et pourtant nous sommes polarisés par un au-delà du temps et de l’espace

Affectivement. Alquié la bien vu, la Passion est refus du temps, " désir d’éternité ". (Cf. cours sur la passion) En rêvant de conquérir l’espace, les hommes essaient d’échapper aux limites que leur espace leur assigne.

Intellectuellement. Les Grecs étaient à la recherche de ce qui est permanent, immuable, éternel. L’idée chez Platon est au-delà du temps et de l’espace, vraie partout et toujours. En s’élevant jusqu’à la vérité, l’Esprit transcende les limites de l’espace-temps: ce qui est vrai est vrai depuis toujours et à jamais et tous temps et en tous lieux.

Pratiquement. "Pour moi, les racines de l'espoir se situent dans la transcendance, de même que les racines de la responsabilité - même si je suis incapable de l'expliquer concrètement, à la différence des chrétiens, par exemple... Donc, ce n'est pas seulement une forme d'optimisme, mais c'est la certitude que nos actes ont un sens, même si nous ne pouvons en connaître le résultat. Il me semble que l'espoir le plus profond, authentique, celui qui permet de survivre, qui nous fait agir et qui nourrit l'esprit, nous vient d' "ailleurs". C'est lui qui nous donne le courage de recommencer dans des conditions aussi difficiles que les nôtres. " Vaclav HAVEL (1987) Interrogatoire à distance Ed. de l'Aube 1989

 

B. Réalité pour nous de l’espace et du temps

 

Réalité de l’espace

Toujours de quelque part nous sommes de nulle part, toujours en mouvement (grâce à la médiation du temps).
L’espace est, littéralement, " vital ".

Nous mesurons notre puissance à l’étendue de notre espace.

Cf. Lagneau:  "L'espace est la forme de ma puissance " (, le temps la forme de mon impuissance")

Est dit impotent, celui qui ne peut plus se mouvoir, et perd ainsi la maîtrise de l’espace.

Réalité du temps

Nous sommes... en devenir: nous n’existons que pour autant que nous durons. (Bergson, la durée).
Ne pouvant exister que dans l’instant ...
Cf. Augustin: " Il est maintenant clair et évident que les choses futures ni les choses passées ne sont point, et que c'est improprement qu'on dit : il y a trois temps : le passé, le présent, le futur, mais sans doute dirait-on correctement: il y a trois temps, le présent des choses passées, le présent des choses présentes, le présent des choses futures. "

Cf. Pascal, se moquant de notre inconséquence à vouloir vivre ailleurs que dans l’instant présent. Texte annexe.

Cf. Sagesse épicurienne, celle du Carpe diem.

Nous sommes le produit de notre passé

Le reconnaître, oeuvre de réminiscence, n'est-ce pas, en remontant aux racines de mon être, me remettre en possession de moi-même, me libérer en quelque sorte ?

Ex. Le travail de la psychanalyse

Ex. Toutes les grandes traditions spirituelles préconisent la référence au passé comme chemin de réussite de l'existence et de salut.

 

Et nous sommes tendus vers notre avenir, et c’est cette tension qui donne sens à toute notre vie.

Cf. t. de Sartre, texte annexe

Cf. Serres, de l’avenir " Certes, nous ne pouvons le prédire au sens de prévision, mais nous devons le préparer, au sens de prévoyance. " (Discours de réception à l’Académie française)

Et nous aspirons à l’éternité

Cf. Refus de l’irréversibilité du temps
- Mythes de l’éternel retour
Cf. Platon, Timée

- Crispation sur le passé

Cf. Refus du changement des traditionnalismes de tous ordres

- Noyade dans le présent

Cf. Pascal, divertissement

Civilisation actuelle, civilisation privilégiant l’instant

 

C. Solidarité de l’espace et du temps

 

Leur relativité: Einstein

Pour traduire la solidarité de l’espace et du temps Minkowski lança l’expression espace-temps en 1906. Il désignait ainsi le système de quatre variables (x, y, z, t) nécessaire au repérage complet d’un phénomène selon la théorie de la Relativité. Il faut en effet y tenir compte solidairement de sa position dans l’espace (traditionnellement doté de trois dimensions x, y, z) et de celle qu’il occupe dans le temps (ou quatrième dimension t).

La théorie de la relativité

Le point de la doctrine de la relativité répond à une critique de la mécanique newtonienne.
Nous savons que pour le grand physicien anglais l'espace et le temps sont des absolus. Or, pour Einstein, l'espace et le temps essentiellement relatifs aux phénomènes qui s'y déroulent ne peuvent se définir qu'à travers la correspondance de ces phénomènes Et d'autre part l'absolu pas plus qu'il n'existe dans les domaines de l'espace et du temps ne saurait exister dans le domaine de la vitesse qui répond à leur rapport.

C'est dire qu'il n'y a pas plus de vitesse infinie qu'il n'y a de temps et d'espace absolus. Toute vitesse se définit par sa relation à la vitesse de la lumière qui elle même ne se propage pas instantanément, c'est-à-dire à une vitesse infinie, mais à la vitesse finie quoique immense de 300 000 km à la seconde.

Une fois retenues ces indications générales on sera peut-être à même de concevoir comment à partir de certaines circonstances historiques a pu évoluer la doctrine de la relativité de l'espace et du temps sous ses deux formes: restreinte et généralisée.

La relativité restreinte

La théorie de la relativité dite restreinte s'applique aux mouvements rectilignes et uniformes.

Or les mouvements rectilignes et uniformes sont tributaires du principe de l'inertie, c'est-à-dire du principe en vertu duquel un mouvement de translation rectiligne et uniforme ne saurait être distingué du repos.

Pour plus de précision, on rappellera que d'après Copernic certains observateurs des mouvements planétaires seraient privilégiés tandis que d'autres se tromperaient.

En l'occasion l'observateur privilégié serait l'observateur solaire qui se tiendrait pour immobile et verrait les planètes se déplacer autour de lui. Au contraire l'observateur terrestre estimant qu'il est lui-même immobile serait dans l'erreur. Mais son erreur serait en quelque sorte inévitable pour quiconque au moins s'en tiendrait aux renseignements apportés par l'intuition concrète. En effet les seuls motifs susceptibles en dernier ressort d'être invoqués à l'appui de la conception copernicienne sont des motifs d'ordre esthétique c'est-à-dire répondant à une simplicité plus grande dans l'explication des phénomènes. Mais, une fois réservés les arguments inhérents à la commodité intellectuelle, rien ne permet de distinguer à partir du spectacle offert par l'expérience l'observateur privilégié parce que rien ne permet de reconnaître le mouvement du repos.

C'est une telle impossibilité de distinction qui se trouve pour ainsi dire codifiée dans le principe de l'inertie. " Un corps en repos ou animé d'un mouvement rectiligne et uniforme demeurera dans cet état si aucune force extérieure ne s'applique à lui ".

Il est aisé en effet de s'apercevoir que le principe ainsi énoncé contient implicitement, étant donné l'emploi du mot " ou ", non seulement l'assimilation de l'impression engendrée par le mouvement uniforme à l'impression engendrée par le repos, mais encore l'assimilation du mouvement uniforme au repos lui-même.

Or de la mise en regard des indications précédentes va naître la contradiction que l'on peut tenir pour la source directe de la théorie einsteinienne.

Si d'une part en effet on admet le principe fondamental de la mécanique classique ou de " la composition des vitesses ", principe énonçant que les vitesses de deux corps convergents vers le même point s'additionnent tandis que les vitesses de deux corps dont le mouvement est dirigé dans le même sens doivent être soustraites l'une de l'autre pour calculer la vitesse totale, si d'autre part on retient que la vitesse de propagation de la lumière est finie. (A l'infini en effet on ne peut rien ajouter ni soustraire), il doit exister pour un observateur un moyen très simple de distinguer son propre mouvement du repos.

Ce procédé de distinction on le résumera en disant que la vitesse de propagation de la lumière ne devra pas être la même pour un observateur que son mouvement entraînera vers la source du rayon lumineux et un observateur qui fuira cette source.

C'est dire que la Terre par exemple étant un mobile animé d'une très grande vitesse l'observateur terrestre pourra, d'une différence de vitesse dans la propagation du rayon lumineux, déduire son propre mouvement

Or sans doute si l'on tient compte du fait que la rapidité de translation du bolide terrestre (30 km à la seconde) est extrêmement réduite si on la compare à la vitesse lumineuse de 300 000 km à la seconde il semblerait impossible en pratique de parvenir à une conclusion touchant la translation terrestre à partir d'une différence négligeable constatée dans la propagation des rayons lumineux.

Il n'en est rien cependant. En effet à partir de l'application des principes de la spectroscopie et de la coïncidence ou de la séparation des raies spectrales, on est à même actuellement de déceler des différences de l'ordre du dix millionième dans la vitesse de propagation des rayons lumineux.

Il convient donc de s'arrêter encore une fois sur ce point essentiel déjà antérieurement mentionné.

Étant donné la technique expérimentale mise à la disposition des hommes de science, devrait être constatée une différence entre la vitesse de propagation du rayon lumineux pour un observateur fuyant ce rayon et pour un observateur allant à sa rencontre. Or la vitesse de propagation est la même dans les deux cas.

Telle est la conclusion à laquelle aboutit la célèbre expérience de Michelson/Morlay, expérience démontrant que deux rayons lumineux ayant un trajet rigoureusement équivalent à accomplir arrivent en même temps à la lunette du spectroscope, quelle que soit la modification imposée au rapport existant entre l'orientation de ces rayons et la direction du mouvement de la terre, autrement dit que l'observateur terrestre aille vers le rayon lumineux ou qu'il le fuie.

On en conclut que la lumière est isotrope, c'est-à-dire se propage toujours avec la même vitesse dans toutes les directions quelle que soit la quantité de vitesse ajoutée ou soustraite à la vitesse propre des rayons lumineux.

En sorte que sont ainsi réunis les éléments dont Einstein opéra la synthèse.

Si on maintient en effet le principe de la composition des vitesses, si d'autre part on accepte l'égalité des temps de propagation des rayons lumineux pour toutes les positions de l'observateur, la seule conclusion possible c'est que la simultanéité des événements varie avec la position relative des observateurs, autrement dit que deux événements simultanés pour un observateur immobile ne le seront plus quand s'effectue un déplacement relatif de l'observateur et de l'événement en question.

En fait Einstein a tiré sa conclusion d'une pure et simple construction mathématique. Aussi a-t-il tenté d'en traduire l'expression dans un langage mis à la portée de l'expérience commune (gemeinschaftlich), c'est-à-dire que, pour plus de simplicité, il a illustré par l'interprétation d'un exemple particulier ce qui était exprimé symboliquement dans la suite des équations.

Supposons donc, un train se déplaçant à une vitesse prodigieuse devant un spectateur immobile. Le rayon issu de l'avant du train, dirigé vers l'observateur, mais en même temps écarté de lui par le sens de la marche du train aura une vitesse moins grande que le rayon issu de l'arrière et que le mouvement du train rapprochera de l'observateur.

Pourtant en vertu de l'expérience de Michelson le rayon issu de l'arrière du train et doué d'une vitesse plus grande arrivera en même temps que le rayon issu de l'avant.

La seule conclusion dès lors possible c'est qu'il sera parti plus tard.

Voilà donc deux événements qui étaient simultanés et dont un déplacement relatif a détruit la simultanéité.

Les conséquences de ces ruptures de simultanéité sont capitales en ce qui touche la nature attribuable à l'espace et au temps

On détermine une longueur par la simultanéité des rayons lumineux partant des extrémités de l'objet dont la longueur est mesurée et de la longueur étalon.

Le changement dans la simultanéité entraîne donc un changement dans la longueur.

En ce qui concerne le temps cette rupture des simultanéités au cours des déplacements relatifs a pour conséquence directe et indirecte à la fois la modification de la durée temporelle, directe d'abord, puisque le temps est étalonné par des mesures variables avec le mouvement, indirecte ensuite puisque la seconde choisie par Einstein pour unité de la mesure du temps répond à la durée nécessaire à la lumière pour franchir 300 000 kilomètres D'où il suit évidemment que l'unité ainsi choisie change si le kilomètre en relation avec lequel la seconde est déterminée se contracte ou se dilate avec le mouvement.

C'est ainsi que Langevin a pu supposer l'existence d'un voyageur emporté par une fusée se déplaçant à une vitesse légèrement inférieure à la vitesse de la lumière et qui, faisant demi tour, trouverait au bout de deux ans la terre vieillie de deux siècles.

La relativité généralisée

La théorie de la relativité restreinte ne visait que des mouvements rectilignes et uniformes.

Il était à prévoir qu'Einstein se préoccuperait de savoir à quelle notion du temps et de l'espace répondrait la considération des mouvements variés.

Mais ce qui devait constituer une modification portant sur l'étendue de la théorie va se traduire finalement par une modification portant sur son objet.

La conception de la relativité généralisée a en effet théoriquement pour but l'extension aux mouvements variés de la valeur purement relative des observations locales constatée dans le domaine des mouvements accélérés et des mouvements uniformes.

Or il convient de considérer que, dans la perspective einsteinienne, une telle condition, (c'est-à-dire un tel moyen), est devenue le but

Si bien qu'en vertu de cette espèce de substitution de valeur, il s'agira avant tout pour Einstein de réduire au modèle mécanique des mouvements rectilignes et uniformes présidés par le principe de l'inertie la province dynamique jusqu'alors irréductible de la gravitation newtonienne

On comprend dès lors l'importance primordiale revêtue pour Einstein par l'identité de la masse inerte, résistance du corps au mouvement, proportionnelle à la masse du corps, et de la masse pesante en vertu de laquelle les corps tombent vers le sol avec une vitesse accélérée.

Cette identité qui semble évidente est en réalité un cas privilégié et n'existe nullement entre la force inhérente à la masse inerte et une force quelconque telle que celle d'un tracteur électrique par exemple

La conséquence d'une telle assimilation d'une importance de premier plan répond directement au but poursuivi par Einstein puisqu'elle entraîne la similarité du domaine de la pesanteur tributaire du mouvement varié au domaine de l'inertie tributaire du mouvement rectiligne et uniforme, et, par ce biais, de la dynamique à la mécanique

Assimilation qui conduit plus loin encore puisque la mécanique répondant au domaine de l'inertie constituerait d'après les einsteiniens, pour reprendre une formule de Couderc, einsteinien lui-même, (( une espèce de géométrie dans le temps "

De quelle géométrie s'agira-t-il? D'une géométrie plus générale que la géométrie euclidienne La nécessité d'une telle conclusion se dégage avec une particulière netteté si l'on songe à l'importance fondamentale que revêtent pour Einstein les considérations relatives à la nature de la lumière

Rappelons à cet égard que classiquement la droite trouve sa représentation la plus parfaite dans le rayon lumineux. Or ce rayon lumineux d'après Einstein est courbe

Einstein en effet, avant même d'avoir abordé la généralisation de son attitude relativiste, était arrivé, à partir de considérations touchant la variation parallèle de la masse et de la vitesse, à supprimer la barrière séparant une énergie de l'ordre de la lumière de la force inhérente à la nature des corps pesants.

Dans ces conditions évidemment le rayon lumineux ne serait pas rectiligne, et ce parce qu'il serait infléchi vers le sol par la pesanteur.

Il y aurait donc une trajectoire du rayon lumineux comme il y aurait une trajectoire incurvée d'un projectile.

C'est dire que l'analyse géométrique d'un tel univers incurvé serait tributaire de la géométrie riemanienne traitant d'un espace à courbure positive.

Mais justement cette incurvation caractérisant l'espace serait plus ou moins accusée selon que la portion spatiale à laquelle on aurait affaire se trouverait au contact plus ou moins intime de corps pesants plus ou moins importants.

C'est dire qu'au voisinage d'énormes corps pesants tels que le Soleil, l'espace offrirait une incurvation extrêmement accusée analogue à celle que pourrait offrir une toile tendue déprimée à un point quelconque de sa surface par un corps pesant

Autour d'un tel corps en effet la toile infléchie présenterait comme une rainure, si bien que les corps dont le trajet serait sensiblement rectiligne à tout autre point de la toile seraient ici comme happés par la dépression ainsi créée, et y retourneraient à la manière d'une bille dans une cuvette

En somme la doctrine de la relativité restreinte attachée à une refonte profonde des concepts de temps et d'espace et répondant à une critique des notions fondamentales de la mécanique newtonienne avait orienté vers une extension des remaniements temporo-spatiaux ainsi réalisés du domaine des mouvements uniformes à celui des mouvements variés

Par une espèce de choc en retour l'extension ainsi opérée avait indirectement incité Einstein à une réduction de l'attraction newtonienne, force inexplicable aux principes de la mécanique classique. Mais s'il y parvient c'est à partir d'une nouvelle refonte du concept d'espace tenu désormais pour tributaire d'une géométrie riemanienne applicable à des surfaces positivement incurvée.

 

Le temps victorieux de l’espace: les systèmes informatiques de communication.

Nous vivons à l’âge de la communication planétaire instantanée.
Grâce au réseau Internet il est désormais possible de transmettre et de recevoir des images, des sons et des textes instantanément. Les distances se trouvent ainsi abolies !

La rapidité, critère aujourd’hui de la performance.

" Toujours plus vite-toujours plus loin! " . Voilà une formule qui en dit long sur la recherche actuelle de la performance.

Les vaincus de la vie sont désormais ceux qui sont incapables de vivre à " cent à l’heure ".

Les vainqueurs sont en tous domaines - et pas seulement sportifs - ceux qui sont les plus rapides à atteindre un résultat. Ainsi la rapidité dans l’exécution des tâches hisse aux premières places dès le domaine scolaires.

Ecrire un roman que l’on intitule la lenteur (Kundera), c’est se payer le luxe esthétique d’échapper à l’entraînement collectif, de se mettre hors du circuit socio-culturel contemporain de la vitesse!

 

 

Conclusion

 

L’homme " citoyen du monde ", assigné à demeure dans l’espace-temps
Sans autre asile que lui. Cf. Ruyer: "Je ne peux pas plus exister ailleurs qu'exister hier ou demain"  

Et pourtant l’homme échappe par la pensée aux limites du temps et de l’espace:

En lien vital, informatif, avec l’idéal, celui des idées et des idéaux (valeurs)
Cf. Pensée et action, thématisées et finalisées

Cf. Passion, aspiration à l’absolu (Cf. cours sur la passion)

Somme toute:

" La solution de l'énigme de la vie dans l'espace et dans le temps se trouve hors de l'espace et du temps" (Wittgenstein, Tractatus, 1921, § 6.4312)

 

 

© M. Pérignon