La formation des concepts scientifiques

 

 

 

plan

 

Introduction

Il y a formation des concepts scientifiques !

I. Le concept, rupture avec l'expérience

1. Nature du concept

2. Exemple: le concept de condensateur

II. Le concept scientifiques, caractéristiques

1. Le concept ne s'applique pas à des phénomènes qui seraient "pré-donnés"

2. Le concept résout un problème

3. Le concept conduit à l'expérience

4. Caractéristiques du concept scientifique

III. La formation progressive des concepts. Ex. le concept d'hérédité

1. Le problème de départ et sa 1ère solution

2. Élaboration du concept

3. Détermination des modalités biologiques du processus conçu

par le concept initial

4. Optimisation du concept

Conclusion

L'accès à la vérité scientifique, une conquête rationnelle

 

 

Introduction

 

Constat
L'enseignement expose des concepts scientifiques élaborés. En fait ceux-ci ont connu un développement, qui leur est essentiel.

Un préjugé tenace vient renforcer l'illusion pédagogique de concepts tout-faits. Nous avons tendance à voir dans les concepts scientifiques l'expression du réel rencontré par l'expérience sensible. En fait tout concept scientifique est fabriqué par l'esprit du savant: il a subi un long travail de formation et ne tient son sens qu'en vertu de sa place qu'il occupe à l'intérieur du système conceptuel dont il reçoit sa validité.

Ainsi, en mathématiques, le concept de nombre imaginaire est le pur produit d'opérations intérieures au système auquel il appartient. De même, en physique, le concept de lumière, conçue comme étant conjointement un phénomène corpusculaire et ondulatoire, est un pur concept de synthèse théorique à quoi nous ne saurions faire correspondre aucune intuition sensible !

Les concepts scientifiques sont des entités conçues par l'esprit!

Question conséquente

Comment les concepts se forment-ils ?

 

Première partie : Le concept , rupture avec l'expérience

 

1. Nature du concept

 

Les concepts scientifiques, fussent-ils les plus élémentaires, se constituent en rupture avec l'expérience. Comme toute idée abstraite, le concept scientifique ne retient du réel divers et disparate que l'identique, l'essentiel, sous forme de définition plus ou moins explicite. S'il est fabriqué à partir du réel mais aussi c'est souvent contre les apparences.

 

2. Exemples

Ainsi le concept de triangle efface les irrégularités des triangles concrets. Il ne correspond à aucun d'entre d'eux mais rassemble les propriétés qu'ils sont sensés avoir tous en commun. Il définit LE triangle en soi et, à partir de cette définition, abstraite, il rend possible la déduction des propriétés de tout triangle. D'ailleurs, ne dit-on pas que l'art du géomètre est de raisonner juste sur des figures fausses !

Ainsi en va-t-il également du concept d'électricité. Les "électriciens" du XVIIIe siècle s'ingénient encore à comparer les "pouvoirs électriques" des différentes matières. On sépare une électricité "résineuse" d'une électricité "vitrée", selon la matière avec laquelle on frotte un bâton de verre dépoli. On n'arrive pas encore à objectiver le concept d'électricité parce qu'on est trop près des objets qui le suggèrent. Les objets électriques sont encore trop récents, trop proches de la réflexion. Ils ferment son horizon et la paralysent. Le nom même de condensateur donné à la bouteille de Leyde et aux similaires a été inspiré par une approximation analogique. Cf. Bachelard, La formation de l'esprit scientifique. "Coup de lumière", écrit Bachelard, quand apparaît enfin la formule qui donne la "capacité" d'un condensateur. Coup de lumière par rupture. Les images, qui constituaient autant d'obstacles empiriques et empêchaient la conceptualisation s'évanouissent soudain devant la formule qui définit la "capacité" du condensateur: C= KS/4¼e. Analysons la formule. Elle établit des relations algébriques entre concepts renvoyant à des phénomènes physiques : S = la surface d'une armature d'un plateau du condensateur. e = l'épaisseur de l'isolant supposé uniforme. K = le pouvoir diélectrique, d'isolation électrique, de l'isolant. Une telle formule n'évoque rien de sensible, de substantiel. Elle est la résultant d'un processus d'élaboration conjuguant l'abstrait et le concret.

 

 

Deuxième partie : les concepts scientifiques, caractéristiques

 

Plus on avance dans l'histoire des concepts, plus ces concepts apparaissent en rupture avec les données immédiates de l'expérience.

1. Le concept ne s'applique pas à des phénomènes qui seraient déjà là, "donnés".

L'élaboration conceptuelle crée le phénomène, suggère sa production, fixe les conditions dans lesquelles il sera instructif. En science "rien n'est donné, tout est construit", dit G. Bachelard.

Ainsi l'orbite décrite par Uranus (Cf. cours sur théorie et expérience) semble contrevenir aux lois de Newton. Elle n'est pas celle, théorique, obtenues par le calcul de l'attraction exercée par les planètes avoisinantes (Jupiter et Saturne). Le Verrier, en 1849, tente de surmonter la contradiction. Il forme le concept (hypothétique) d'un planète inconnue dont la force d'attraction expliquerait l'orbite réelle d'Uranus. Le 23 septembre 1846 l'astronome berlinois Gall, informé par Le Verrier, pointe son télescope à l'endroit où, théoriquement, d'après les calculs de Le Verrier, la planète supposée devrait se trouver et il l'aperçoit effectivement. Neptune est découverte.

Par où l'on voit que le phénomène n'a de sens que par rapport aux concepts qui l'expliquent ! Un problème précède "toute expérience qui se veut instructive" (Bachelard). L'objet à connaître et la méthode à employer se cherchent, dialoguent jusqu'à ce que cette confrontation produise le concept scientifique. “La science réalise ses objets sans jamais les trouver tout faits.” (Bachelard)

 

2. Le concept résout un problème.

Issu d'une problématique, le concept vise à englober et intégrer les concepts antérieurs pour les dépasser et les réformer.

Ainsi l'impossibilité dans laquelle se trouvent Huygens et Fresnel d'expliquer les interférences lumineuses - mises en évidence par Grimaldi dès 1665 - à l'aide du concept newtonien de lumière (conçue comme étant l'émission de particules) les amènent à dépasser ce conept en lui substtituant le concept d'onde.

 

3. Le concept conduit à l'expérience

Le concept scientifique en se constituant donne l'idée de l'expérience qui lui permettra d'être vérifié.

Ainsi en est-il, par exemple, du concept de pression atmosphérique. A l'origine de sa formation, une anomalie : l'eau ne monte pas dans les pompes des fontainiers de Florence, en 1643, au dessus de 10,33 m. Pour expliquer le phénomène Torricelli (1608-1647) mathématicien et physicien italien, disciple de Galilée, suppose que l'atmosphère exerce une pression sur la surface de l'eau de la fontaine. Ce concept implique une variation concomitante de la pression et de l'altitude, et détermine ainsi l'expérience qui le confirmera. Il imagine en 1643 de substituer à l'eau du mercure et à la tuyauterie aspirante des fontainiers un tube de verre de 1 mètre de long, fermé à l'une de ses extrémités, est rempli de mercure sur toute sa hauteur. La hauteur du mercure dans le tube, au-dessus du niveau de la cuve, se stabilise alors autour de 0,76 m environ, laissant un vide d'air en haut du tube. En 1646, Pascal répéta cette expérience à Rouen, puis en haut de la tour Saint-Jacques à Paris, en utilisant de l'eau (plus légère que le mercure, nécessitant donc une grande hauteur).

4. Le concept scientifique est ....

...polémique :
Le concept de pression atmosphérique s'opposait, à l'époque de son élaboration, à l'idée commune - d'origine aristotélicienne - selon laquelle la nature aurait horreur du vide C'est précisément parce qu'un concept scientifique est un concept polémique à l'égard des concepts usuels qu'il est fécond !

La science procède moins par accumulation de connaissances que par révolution, de celles-ci.

...dialectique:

On devrait toujours se méfier d'un concept que l'on n'a pas su dialectiser ", disait Bachelard. Lorsque Fresnel forme le concept ondulatoire de la lumière, il le conçoit en opposition au concept corpusculaire de Newton. Et l'idée que nous nous faisons,aujourd'hui encore, de la lumière est le produit d'une synthèse entre les deux : nous concevons la lumière comme étant un phénomène à la fois ondulatoire et corpusculaire.

...esthétique :

L'élaboration du concept de lumière témoigne du souci d'harmoniser les concepts scientifiques entre eux. Lorsque Louis de Broglie élaborera la théorie de la lumière - conçue comme étant un phénomène conjointement ondulatoire et corpusculaire - il harmonisera les théories discordantes de Newton et de Fresnel.

...opératoire :

La science ne se donne pas pour objet la réalité sensible. Elle vise les relations (les plus simples à imaginer possibles) entre les phénomènes dont elle s'efforce de donner une représentation mathématique, de forme quantitative, à laquelle on donne le nom de "loi". Par où l'on voit que le concept est une entité relationnelle, de type opératoire. Ainsi écrire, à la suite d'Einstein, que e=mc2, c'est définir l'énergie comme étant une pure relation quantitative entre la masse et la vitesse de la lumière. (Cf. cours sur l'espace-temps)

 

Troisième partie : la formation progressive des concepts [Exemple en biologie]

 

1. Le problème de départ et sa première solution

 

Claude Bernard cherche à fixer le concept de vie.

Seul élément commun à la vie végétale et à la vie animale : le protoplasme d'une cellule qui va se répéter, se développe, se différencier.

Solution initiale : le protoplasme n'aurait pas de structure, il se définirait seulement par sa composition.

Affirmation catégorique : l'hérédité, c'est "la continuation du protoplasme d'un ancêtre", cette continuation étant assurée par une combinaison déterminée de composants chimiques (Cl. Bernard)

Conception de la cellule et du protoplasme = conception de ler niveau.

 

2. Élaboration du concept

Cl . Bernard observe que la transmission héréditaire obéit cependant à une "consigne" que la "nature répète après l'avoir réglée d'avance". Or il n'y a pas loin d'une consigne à un "code" (Canguilhem)

Concept de "consigne" = concept de second niveau.

 

3. Détermination des modalités biologiques du processus conçu par le concept initial

Le concept d'hérédité, c'est maintenant celui de la transmission d'un "programme", "information" déposée dans les gènes de chaque individu, un code commande la synthèse des protéines.

Ce code, génétique, est dans la structure de la molécule d'A.D.N. Celle-ci forme les chromosomes, lesquels forment, d'une génération à l'autre, le patrimoine héréditaire.

Concept de structure héréditaire, informée par la molécule d'A.D.N. = concept de troisième nivea

 

4. Optimisation du concept

On passe d'un concept d'information biologique statique à un concept d'information biologique dynamique et ouverte.

La synthèse cellulaire s'accomplit selon un programme codé, mais d'une certaine manière ce programme est sensible aux influences exercées par le milieu cellulaire.

Par ce concept de structure d'héréditaire, on demeure au troisième niveau avec un même concept, mais enrichi, affiné, autrement exprimé.

 

Conclusion

 

La vérité scientifique n'est pas atteinte par un simple regard sur le réel concret.

Elle est conquise de haute lutte intellectuelle, rationnelle, par le renouvellement de concepts qui ne sont que des approximations provisoires qui demandent à être constamment dépassées.

 

© M. Pérignon