Le vivant

 

 
 

plan

 

Introduction
Problématique

I. La vie et ses formes

1. Les caractéristiques du vivant
2. Les formes de vie

II. Les modélisations du vivant

1. Le modèle vitaliste
2. Le modèle mécaniste
3. Le modèle organiciste

III. La manipulation du vivant

1. Le possible
2. Le souhaitable

Conclusion

La question de fond

 

Introduction

Parler du vivant oblige à rechercher les caractéristiques communes à tous les êtres vivants, de la plante à l'homme en passant par l'animal. Le langage, qui conduit à parler de "vivant" dans les trois cas, fait signe en direction du concept de "vie". Se pose dès lors la question de savoir ce qu'est un organisme vivant, ce qui le différencie d'un ensemble de processus purement physiques.

Pour rendre compte de l'ensemble des processus vitaux, trois modèles s'offrent à nous :
- le modèle vitaliste, qui fait appel à une force irréductible aux seules forces physico-chimiques et aux processus auxquels elles donnent lieu ;
- le modèle mécaniste, qui réduit le vivant à ses conditions physico-chimiques de vie ;
- le modèle organiciste qui reconnaît la spécificité des phénomènes vitaux et explique les organismes vivants par la capacité à s'organiser eux-mêmes.

La connaissance du vivant, et en particulier des modalités selon lesquelles il organise ses processus vitaux, conduit à intervenir sur eux. Se pose alors la question de savoir jusqu'où il est, non seulement possible, mais aussi souhaitable de le faire.

 

 

I. Définition du vivant

 

La première question qui se pose, à qui veut définir le vivant , est de savoir quelles en sont les caractéristiques. Vient ensuite la question de savoir quelles en sont les formes.
 

1. Les caractéristiques du vivant

 

Si je veux connaître les caractéristiques du vivant, il me faut observer les êtres vivants et en repérer les traits communs.

Un être vivant est un être

- qui est fait être par d'autres êtres, qui lui sont semblables, et qui en fait être d'autres, qui lui sont aussi semblables; Il est engendré et il engendre.

=> 1ère caractéristique : la reproduction. La vie est quelque chose qui se transmet.

- qui développe son être, se génère et se régénère sur la base des données (formelles, appelées aujourd'hui génétiques) qu'il trouve dans son milieu interne (patrimoine) et à l'aide des matériaux énergétiques et des composantes moléculaires qu'il puise dans son milieu externe.

Si l'on distingue dans le maintien en forme (en vie), qui est affaire d'auto-organisation (Cf. Kant, Critique du jugement ) et d'adaptation, la fonction d'assimilation (prélèvement, stockage et transformation -consommation et élimination - d'éléments prélevés sur le milieu externe) de la fonction de lutte contre les maladies et les accidents (cicatrisation, compensations fonctionnelles) il est possible de distinguer deux nouvelles caractéristiques : la nutrition et l'auto-réparation. On retrouve ces caractéristiques chez tous les être vivants, de l'unicellulaire le plus élémentaire au pluricellulaire le plus complexe, ou, pour reprendre un classification traditionnelle, du végétal à l'animal et à l'homme.

N.B. Comparaison avec Aristote et Descartes, et de ces philosophes entre eux.

- Aristote: Caractéristiques du vivant, selon lui
1. équilibre entre le chaud et l'humide
2. mouvement, conçu comme changement

- Descartes: caractéristiques du vivant ,selon lui

1. chaleur
2. mouvement (mécanique)

- Comparaison des deux :

Descartes est dans la "ligne" d'Aristote : il reprend grosso modo les mêmes caractéristiques. Toutefois il les "aplatit", leur retirant leur aspect dynamique : Aristote parlait d'équilibre, réalité dynamique par excellence et il parlait la kynésis, qui est action de se mouvoir, auto-production de changement.

- Comparaison avec nous :

Des deux, Aristote est incontestablement le plus "moderne" ! Descartes méconnaît le spécifique de la vie, qui s'affirme tant dans la génération, que dans la régénération.

 

 

2. La vie sous toutes se formes

 

Quand on parle de connaissance du vivant, on pense spontanément à la biologie, qui monopolise pour elle-même dans son appellation la notion de connaissance (logos) du vivant (bios). On serait dès lors enclin à penser qu'une réflexion ayant la connaissance du vivant se doive d'observer et d'interroger la pratique du biologiste.

Or rien n'est moins sûr . Il suffit d'évoquer l'adjectif "biologique" pour s'en rendre compte : on applique cet adjectif au mot vie sans qu'il y ait pour autant pléonasme ! On parle des manifestations biologiques de la vie, mais aussi de vie intellectuelle et morale, de vie sociale, de vie spirituelle. La vie biologique ne semble devoir être qu'une forme ou un niveau de vie.

Un retour à Aristote suffira à nous convaincre de la restriction, abusive, que nous imposons subrepticement au concept de vie : Aristote qui impute à l'âme la motricité et l'équilibre physiologique, reconnaît à celle-ci des facultés diverses :  nutrition et reproduction certes, mais aussi sensation, mouvement et pensée.

Quelles sont les formes essentielles de vie ? On en distingue classiquement quatre, chacune requérant et englobant celles qui les précède dans l'ordre suivant :

1) vie végétative
2) vie sensitive
3) vie intellectuelle
4) vie spirituelle (morale et religieuse)

 

Vérifions que nous avons bien affaire à autant de formes de vie en nous assurant d'y trouver les caractéristiques que nous avons distinguées.

 

 

 assimilation

développement

 reproduction

 

vie végétative
(végétale
&
animale

 

absorption

- de l'air
- de l'eau
- de la nourriture
- du soleil..
.

 

cicatrisation
substitution
synthèse des protéiene

 

production de gènes

dédoublement

 

vie sensitive,affective
et
motrice

 

sensations
sentiments
mémoire
conditionnement

 

compensation
par élévation
des seuils perceptifs

transferts

 

expression
(transmission des impressions)

(art)

vie
intellectuelle
et
morale


compréhension
observation
réflexion
apprentissage


correction
des erreurs
des maladresses
des fautes

 
éducation
imitation
enseignement
exhortation

 

 vie
spirituelle

 

éditation
intériorisation
prière

 

examen de conscience
conversion
réconciliation

 

pratique religieuse
prédication
témoignage

Il n'y a pas de doute : la notion de vie est une notion analogique, que les phénomènes dits biologiques (en fait végétatifs) sont loin d'épuiser. Une authentique connaissance du vivant se devrait de couvrir la totalité de ces manières d'être vivant.

- La biologie s'est spécialisée dans l'étude des phénomènes végétatifs;

- la psychologie (et, à un niveau collectif, la sociologie) dans l'étude des phénomènes sensoriels et intellectuels;

- restent les phénomènes spirituels, que les psychologues et sociologues ont parfois la prétention d'expliquer, non sans une réduction préalable et contestable de ceux-ci à l'affectivo-intellectuel..... Or "Seul un idéal spirituel peut nous aider à aimer, savourer, goûter la vie"(Guy Gilbert, La Croix 3/7/90, p.13)

 

 

II. Les modélisations du vivant

A noter, pour commencer, que l'on ne parle plus du "vivant", mais des phénomènes biologiques, càd de ce qui, de la vie végétative, se donne à observer ! Lorsqu'il s'agit d'expliquer ces phénomènes, plusieurs façons de faire peuvent être envisagées, plus ou moins exclusives les unes des autres.

L'analyse des textes proposés permettrait d'en distinguer sommairement trois :

     

1. Le modèle vitaliste

La théorie d' Aristote en est représentative Cf. Aristote, Des parties des animaux

Elle consiste à invoquer un "principe vital", appelé "âme", principe immatériel d'animation de la matière, qui "fait être (le vivant) ce qu'il est " et sans lequel " aucune des parties ne demeure la même ". Cf . "Il faut, dans l'étude de la nature, insister davantage sur l'âme que sur la matière." (Aristote, Des parties des animaux).

On donne à cette théorie le nom de "vitalisme"* . Ce mode d'explication recourt à la notion, capitale, de "finalité" immanente. Cf . distinction aristotélicienne entre quatre types de causes, et donc d'explication.

 

2. Le modèle mécaniste

La théorie de Descartes en est représentative
Cf. Descartes, Traité des passions

Descartes s'oppose radicalement à l'explication aristotélicienne.

Alors que, selon Aristote, on ne saurait expliquer les phénomènes vitaux sans les imputer à l'action de l'âme, selon Descartes, ces même phénomènes n'ont nul besoin que l'on invoque l'action de l'âme pour les expliquer : si l'âme peut agir sur le corps et le corps sur l'âme, en fait l'un et l'autre sont des réalités distinctes, pouvant exister l'une sans l'autre.

Rejetant tout finalisme, Descartes explique le vivant comme s'il s'agissait d'une simple machine, donc de façon purement "mécaniste" : "Toute la chaleur et tous les mouvements qui sont en nous, en tant qu'ils ne dépendent point de la pensée, n'appartiennent qu'au corps" (Traité des passions). On parle de la "théorie des animaux machines", du Mécanisme de Descartes. Plus près de nous, représentant scientifique de cette tendance : le biologiste déterministe J. Monod, le hasard et la nécessité.

 

3. Le modèle "organiciste"

Kant est représentatif de ce modèle
Cf. Kant,
Critique du jugement

Kant développe un point de vue que l'on pourrait considérer soit comme intermédiaire aux deux précédents soit, et mieux, comme supérieur :
Il montre l'insuffisance du point de vue mécaniste.  L'étude, SPECIFIQUE de l'être vivant doit non seulement le tenir comme un être organisé mais aussi, de manière inséparable, comme "un être s'organisant lui-même." Cf. Kant, Critique du jugement

 

 III. La manipulation du vivant

Les progrès de la génétique rendent possible la manipulation des êtres vivants. Jusqu'où peut-on aller dans ce domaine des bio-technologies ?

1. Le possible

Le séquençage du génome humain a été achevé en juin 2000. Les possibilités qu'ouvre le génie génétique sont immenses. Il est désormais possible de modifier les gènes et de les introduire dans un organisme pour en modifier l'information génétique. Il est même possible de produire des clones (Cf. Brebis Dolly).

Le corps médical place dans la génétique des espoirs immenses, celle-ci devant permettre à terme de mettre fin à des maladies qui résistent jusqu'ici aux traitements chimiques ordinaires.
Les industriels de l'agro-alimentaires investissent dans les manipulations sur le vivant (Cf. O.G.M).

Mais ces manipulations sont inquiétantes. Nous avons, semble-t-il, les moyens de produire Le meilleur des mondes, selon Huxley, un monde où l'on pourrait produire des hommes adaptés aux tâches que la société aura à leur confier ; un monde où la diversité naturelle serait abolie au profit d'espèces artificielles, un monde qui inventerait aussi par-là de nouveau désordres biologiques et de nouvelles maladies.

Question conséquente : peut-on fixer une limite à la manipulation du vivant ? C'est la question du statut de la bioéthique.

2. Le souhaitable

Commençons par noter, avec J.-F. Mattéi, interrogé par Jean-Yves Nau et Frank Nouci, dans le Monde du 12 janvier 2003, un déficit de réflexion philosophique en la matière :
- "N'êtes-vous pas frappé du manque de travaux d'ordre philosophique et sociologique sur toutes ces questions ?"
- "Absolument. Beaucoup de ceux qui s'expriment sur les problèmes d'éthique biomédicale sont en fait des savants qui sont devenus, à un moment ou à un autre, des philosophes. Je regrette qu'il n'y ait pas de philosophes de formation qui s'expriment. On ne peut qu'être atterré du manque de réflexion en amont. Il n'y a aujourd'hui aucune étude profonde de la pensée de notre temps. Face à la bioéthique, les grands mouvements de philosophie, les grands mouvements d'anthropologie sociale, de sociologie sont aujourd'hui dans une phase de pensée molle, conséquence probable d'une démocratie qui n'a pas encore trouvé une nouvelle force. " Quelle que soit la puissance de la révolution scientifique, l'homme ne doit pas être subsidiaire de la science. Cette révolution survient au moment où les idéologies se sont effondrées, à un moment où les hommes sont en quête de systèmes philosophiques ou idéologiques de référence. Si nous n'y prenons garde, nous risquons de sombrer dans le scientisme. "

Donnons toutefois quelques indications pouvant conduire à une réflexion de fonds.

Observons tout d'abord que les problèmes éthiques surgisssent là où le respect de l'homme est en jeu. Kant a formulé de façon éclairante la maxime qui devrait régir notre conduite : "traiter l'humanité en notrepersonne comme en celle d'autrui toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen" (Cf. Critique de la Raison pratique et Fondements de la métaphysiques de moeurs). Cette maxime peut et doit s'appliquer tant à la recherche biologique qu'à ses applications techniques.
La question qui ne pose dès lors est celle de savoir si les manipulations génétiques constituent une violation de la nature humaine ou bien au contraire une amélioration de celle-ci.
Se pose dès lors la question, commune à toute détermination axiologique de la valeur de la technique, des limites à l'intérieur desquelles doivent être pensées les transformations que l'homme fait subir à la nature.

Pour peu que l'on admette, à la suite de Platon dans le Protagoras, que la technique supplée aux carences de la nature en prenant le relais de celle-ci (cf. cours sur la technique), il semble souhaitable d'en limiter l'intervention aux corrections de ses anomalies et à l'optimisation de ses performances, sauf à jouer aux apprentis sorciers.
Ainsi, s'il paraît souhaitable de corriger une anomalie chromosomique, il paraît abérrant de vouloir aller à contre courant de toute l'évolution différenciatrice des individualités au service de leur adaptabilité, en bricolant des clones. L'ovule, nous apprend la génétique, sélectionne le spermatozoïde dont les chromosomes sont les plus différents des siens. Ne soyons pas moins intelligents qu'elle !

 

Conclusion

 

Le problème que pose l'explication du vivant se pose ultimement en ces termes : peut-on expliquer et traiter un être vivant comme on expliquerait et traiterait une réalité matérielle ? Autrement dit, l'être vivant est-il constitue-t-il une réalité spécifique, d'un autre ordre que les phénomènes mécaniques, irréductibles à ceux-ci ? La question est ontologique et éthique ! Elle relève de la métaphysique et nous renvoie à la question du rapport entre la matière et l'esprit.

 

© M. Pérignon