Théorie et expérience
 
 

 

plan

Introduction

- Acceptions des mots "théorie" et "expérience"

- Mise en question de l'empirisme naïf

- Problématique adoptée

I. Survol historique de la question: thèses en présence

A. Examen des thèses en présence

B. Hume "démonté" à l'aide de Kant

II. La méthode expérimentale, la théorie et l'expérience

A. Exploitation du texte de Cl. Bernard

Mise en évidence des étapes de la recherche expérimentale

B. Exploitation de l'exemple de la découverte de Neptune:

 Examen de la nature épistémologique de la recherche expérimentale

Conclusion: "Rien n'est donné, tout est construit" (Bachelard)

 

 

 

Introduction

 

1. Acceptions des mots en présence

 

L'expérience

- Première acception (commune)
Connaissance de la vie acquise par les situations vécues

= expérience "vécue"

- Deuxième acception (scientifique)

Essai réalisé en vue de vérifier une hypothèse

= "expérimentation"

 

La théorie

- Acception générale
Ensemble de considérations abstraites (opposé à "pratique")

- Acception philosophique et scientifique

Ensemble d'idées systématiquement organisées, reposant sur des hypothèses générales qui visent à rendre intelligible un sujet déterminé.

 

2. Mise en question de l'empirisme naïf

 

Problème de fond posé :
d'où tient-on ce que l'on sait ?

Solution communément admise :

de l'expérience !

Cf. "Il faut être passé par-là pour le savoir !"

 

- Une telle opinion repose sur un a priori empiriste.

- Une telle opinion est naïve :

En fait, l'expérience se révèle stérile sans la théorie.

Cf. Paradoxes:

S'il était vrai que l'on tient tout ce que l'on sait de l'expérience, on ne pourrait rien à prendre aux autres et on ne pourrait rien apprendre d'eux. Or on le peut !

S'il était vrai que l'on tient tout ce que l'on sait de l'expérience, la connaissance devrait se développer avec l'expérience. Il n'en est souvent rien !

En fait, la vie n'apprend rien à qui ne l'interroge pas.

Il faut certes d'abord vivre, et donc avoir vécu, pour qu'existe un vécu de quoi tirer leçon. Mais il faut ensuite prendre du recul à l'égard de son (déjà) "vécu" pour en abstraire un savoir, ce qui est proprement le travail de la théorie (abstraite)!

Conséquence : on ne saurait penser la connaissance en isolant l'expérience de la théorie.

 

3. Problématique adoptée

 

Question inductrice :
comment mesurer la contribution respective de la théorie et de l'expérience à la constitution du savoir ?

Problématique :

I. Survol historique de la question : inventaire des thèses en présence.

II. Approche épistémologique du problème : analyse de la pratique expérimentale.

 

Première partie : survol historique

 

 

A) Thèses en présence, celles de Spinoza, Hume et Kant

a) Spinoza
Spinoza montre que l'expérience qui n'est pas déterminée par l'entendement reste vague. Il le montre sur deux exemples, celui de la certitude que nous avons de devoir mourir et celui de l'identification du quatrième terme d'une suite proportionnelle.

Dans l'un et l'autre cas, nous dit Spinoza, "on ne percevra jamais autre chose que des accidents dans les choses de la nature, et de ces derniers nous n'avons d'idée claire que si les essences nous sont d'abord connues."

Ainsi Spinoza défend un point de vue nettement rationaliste.

b) Hume

Hume prétend que "toutes les lois de la nature sans exception se connaissent seulement par l'expérience."

Il le montre en faisant observer que connaître c'est établir une relation de cause à effet entre les phénomènes et que cette relation ne peut être déduite a priori.

Ainsi, en empiriste, il pense que toute connaissance non seulement commence avec l'expérience, mais en dérive toute entière.

3) Kant

Selon Kant, "Si toute notre connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience."

Il fait observer que la connaissance ne saurait dériver entièrement de l'expérience : ses énoncés, en tant qu'ils ont universels, ne sauraient reposer sur elle !

Si l'expérience est en mesure de nous apprendre que " quelque chose est bien de telle ou de telle manière ", elle est incapable de nous apprendre que cela ne peut être autrement, sans exception.

Kant défend ainsi une position qui est celle d'un rationalisme critique, appelé criticisme.

Cf. Commentaire de l'analyse kantienne de la pratique expérimentale en sciences physiques.

 

Somme toute :

 

 

 

 

B) Kant permet de démasquer l'inconséquence de Hume

Hume déclare "J'oserai affirmer, comme une proposition générale qui n'admette aucune exception, que la connaissance de cette relation (de cause à effet) ne s'obtient en aucun cas par des raisonnements a priori, mais qu'elle naît entièrement de l'expérience..."

- Nature de l'affirmation de Hume ?

Universelle ( ne souffrant aucune exception ) et donc nécessaire !

- Peut-il tirer un tel savoir de sa seule expérience ?

Non :il ne saurait avoir fait le tour de toutes les relations causales pour en déduire une telle proposition générale !

 

 

Deuxième partie :

la méthode expérimentale, la théorie et l'expérience

 

 

A) Étapes de la recherche expérimentale

 

Cf. Texte de Cl. Bernard

 

Étapes :

D'abord il y a observation des faits qui appartiennent au domaine étudié.

Ensuite est élaborée une hypothèse qui est à la fois suggérée par les faits et inventée par le savant.

Enfin a lieu l'expérimentation proprement dite, càd l'élaboration raisonnée d'un montage qui permettra d'éprouver la validité de l'hypothèse.

 

 

N.B. Postulat d'un tel schéma : empiriste

 

 

B) Analyse d'une découverte, celle de Neptune

 

a) L'observation

 

Distinguer deux observations :
1) celle de Galilée en 1612

2) celle de Le Verrier en 1846

Observation de Galilée en 1612, "fortuite", sans problématisation

Pour Galilée, phénomène observé = étoile.

Observation de Le Verrier, en 1846, "calculée". Le Verrier "constate" un écart entre la position théorique d'une planète, URANUS, celle qui devrait être la sienne, d'après les lois de Kepler et sa position effective, calculable par observation.

 

Point de départ, non un fait, mais un problème!

Or problème surgit d'une contradiction THÉORIQUE entre théorie ayant cours et faits constatés. Cf. Platon République VII, 523bc : la contradiction du sensible lui-même suscite la recherche théorique.

Conclusion : corriger schéma de Cl. Bernard !

 

 

L'observation n'est pas une simple perception, un enregistrement passif de données sensorielles, mais une opération intellectuelle, un calcul, oeuvre de la raison.

Ce qui sera découvert n'est pas directement observable :

. Une perturbation de trajectoire ne se voit pas, elle se conçoit

. Sa cause n'est pas visible : il faudra l'imaginer, rôle de l'hypothèse!

=> ce qui, en fait, est "observé": un écart purement mathématique, une différence rationnelle. Le savant travaille sur des modélisations théoriques du réel, il imagine et raisonne.

 

b) L'hypothèse

 

Quelle est l'hypothèse faite par l'observateur ?
Le Verrier suppose que les perturbations sont dues à l'attraction exercée par une planète que n'intégrait pas jusque là son schéma des positions théoriques des planètes.

Il calcule sa position en fonction des perturbations observées en appliquant les lois de Kepler.

Raisonnement de Le Verrier :

si Uranus subit l'attraction d'une planète inconnue alors cette planète doit avoir telle masse et telle orbite, masse et orbite qui rendent dès lors " normale " l'orbite d'Uranus.

Ici encore, tout est affaire de calcul !

L'hypothèse explique ce qui avait été constaté sous forme d'anomalie, tout en gardant la théorie ayant cours et en s'appuyant sur elle, en l'occurrence la théorie de Kepler.

Il faudra parfois changer de théorie.

Ex. Découverte de la pression atmosphérique et théorie "préscientifique" de l'horreur du vide.

 

Nature de l'hypothèse:

pour qu'une explication soit scientifique il faut qu'elle soit vérifiable, qu'elle permette de mettre au point un procédé de vérification.

On réalise ici combien l'empirisme est simplificateur :

il suppose que la cause et l'effet se donnent conjointement à voir et que c'est la succession de l'un venant après l'autre qui suggère l'explication.

En fait, Bachelard le montrera, il n'y a pas de faits avant une hypothèse puisque c'est seulement à partir d'une hypothèse que l'on peut "lire" le réel et donc y découvrir des faits. "Les faits sont faits " disait E. Le Roy.

c) L'expérimentation

En quoi consiste l'expérimentation dans le cas de l'hypothèse de Le Verrier?
Dans une observation provoquée: le collègue berlinois de Le Verrier, Galle, est chargé de pointer son télescope en direction de la planète-hypothétique et l'y trouve, à un degré près. Ainsi se trouve modifié le schéma planétaire théorique antérieur, sans que soit remise en question la théorie dont ce schéma était la concrétisation....

L'expérimentation ne requiert pas nécessairement une modification de l'ordre des phénomènes. Elle peut consister en une simple observation, qui a ceci d'expérimentale, qu'elle est commandée par une hypothèse qu'elle a pour mission de "vérifier".

 

Conclusion

 

" Rien n'est donné, tout est construit " (Bachelard )
Le réel, contrairement à ce que pensaient les empiristes, est l'objet d'une conquête progressive, menée par l'esprit humain au contact des événements qui s'y produisent.

Ces événements n'ont de sens que par la théorie au sein de laquelle ils prennent ou ne prennent pas place.

Entre la théorie et l'expérience, la relation est DIALECTIQUE.

C'est la contradiction qui les oppose qui est le moteur de la pensée ! Et elle ne l'est que parce que la raison en est le refus, par nature. Par principe, la raison rejette en effet comme faux ce qui est contradictoire.

 

© M. Pérignon